« Les entreprises tiennent encore trop peu compte des compétences modernes. Il manque une véritable culture de l’apprentissage. » Guy Tegenbos, expert du STEM, et Caroline Pauwels, recteur de la VUB, débattent des compétences du 21e siècle.
Le journaliste Guy Tegenbos se penche sur les compétences du 21e siècle, en sa qualité de vice-président de la plate-forme STEM (Science, Technology, Engineering & Mathematics). Cette plate-forme conseille le ministère flamand de l’Enseignement et voudrait remédier à la pénurie de diplômés scientifiques et techniques. « Nous voudrions que, d’ici 2025, chaque jeune acquière des compétences technologiques par l’enseignement », déclare Guy Tegenbos.
« La Flandre encourageait jadis la pensée critique et les compétences sociales, dans toutes les matières. Cela n’a pas toujours fonctionné. Réfléchissons donc à la transmission de ces compétences multidisciplinaires. Cela justifie une approche sous l’angle de projets. L’éducation aux médias ? Oui, mais c’est aussi une question de pratique. Nous avons besoin d’autres formes d’apprentissage que le transfert classique de connaissances. »
Les jeunes ont une longueur d’avance parce qu’ils sont des digital natives. Ils jonglent avec les TIC, mais manquent souvent d’éducation aux médias.
Ce que l’histoire nous enseigne
Caroline Pauwels, recteur de la Vrije Universiteit Brussel, met en garde contre une prépondérance des compétences. Elles sont indissociables de la connaissance et de l’attitude, dit-elle. Elle plaide donc pour la répartition des compétences du 21e siècle en quatre catégories. La première englobe la pensée critique, créative, analytique et axée sur la résolution de problèmes ; en soi la base de toutes les autres compétences.
« La pensée créative implique d’apprendre à utiliser son imagination. La connaissance et les compétences s’acquièrent, mais ne servent à rien sans l’imagination. La critique historique est tout aussi indispensable. L’histoire nous aide à démasquer les ‘fake news’. Montrez combien de fois les gens ont déjà été induits en erreur dans le passé : cela nourrira la pensée critique et analytique. L’histoire facilite aussi la résolution de problèmes. Elle nous enseigne que les meilleures solutions sont nées de la volonté de personnes de collaborer. Quant à la pensée analytique, elle s’enrichira par la grammaire. La priorité à l’enseignement des langues – y compris du langage mathématique – ne me pose pas problème, mais il faut bien connaître les règles sous-jacentes des langues pour les comprendre. »
Il en va de même pour la deuxième catégorie, celle des compétences numériques. « L’utilisation des technologies digitales implique la compréhension des mécanismes qui les régissent. Lorsque je donne cours, j’explique abondamment la black-box derrière ce qui se voit. Il faut ouvrir cette boîte avant d’utiliser quoi que ce soit. Ce n’est qu’ainsi que la technologie aide vraiment à aller de l’avant. À la VUB, nous avons lancé un ‘DataBuzz’ : nous nous rendons dans des écoles primaires pour inciter les élèves à réfléchir à la vie privée, au temps passé devant les écrans, mais aussi aux possibilités d’utiliser la technologie pour l’analyse de données et pour les sciences de la citoyenneté. Les élèves apprennent à détecter la logique et les algorithmes derrière les appareils et à réfléchir à eux-mêmes. Nous devons étendre cette démarche à toutes les tranches d’âge. »
Critique des préjugés
La troisième catégorie regroupe les compétences socioculturelles requises dans un monde toujours plus globalisé. Caroline Pauwels s’en explique : « Des compétences linguistiques, bien sûr, mais aussi la capacité à critiquer ses propres préjugés. Les interactions socioculturelles sont plus simples quand on comprend le contexte et parfois les traumatismes qui induisent les réactions des gens. Sans cela, pas de dialogue. L’apprentissage de la communication interculturelle reçoit trop peu d’attention. On rencontre au travail des groupes de personnes auxquels on n’est pas forcément confronté dans la vie privée. Il faut pouvoir discuter des différences ethniques, sociales et de genre pour éviter la politique de l’autruche face aux problèmes de la diversité. »
La quatrième catégorie, enfin, est celle de l’autorégulation. « On s’attend aujourd’hui à ce que vous réagissiez rapidement aux messages électroniques, mais est-ce toujours le bon réflexe ? Si on vous envoie de la boue, réfléchissez à votre réaction. Vous seriez tenté de répondre dans le même registre, mais vous pourriez décider de ne pas le faire. Notre utilisation des médias sociaux nécessite davantage de contrôle de soi, mais nous sommes encore loin d’y parvenir. »
Guy Tegenbos conçoit l’autorégulation comme un apprentissage autodirigé. « Donnons aux jeunes les moyens de développer leurs propres connaissances et compétences, à leur rythme et avec des accents qui leur sont propres. Ils devront de toute façon le faire au cours de leur carrière. Celui qui est manipulé et docile en permanence n’apprend pas l’autorégulation. Des entraîneurs appliquent déjà ce principe dans les clubs de sport, mais dans le système scolaire, beaucoup reste à faire. »
Offline, sans remords
L’apprentissage des compétences du 21e siècle concerne aussi les travailleurs seniors, par l’apprentissage permanent. Quel est le rôle des entreprises, à cet égard ? Guy Tegenbos cite une étude récente sur les compétences du 21e siècle dans les zones portuaires : Rotterdam, Terneuzen, Vlissingen, Anvers, Gand et Zeebrugge. « L’examen des postes vacants et des critères a révélé que les ports néerlandais mentionnaient en moyenne quatre compétences à détenir, alors qu’en Belgique, il n’y en avait que deux. Les entreprises réfléchissent encore trop peu en termes de compétences modernes. Il n’existe pas de véritable culture de l’apprentissage. Trop peu d’employeurs ont développé une politique de carrière. Ils ne réfléchissent donc pas systématiquement avec le personnel au développement des compétences. Des rumeurs circulent chez Microsoft et Google selon lesquelles les entreprises ne suivent pas les logiciels les plus récents. Et les travailleurs ne seraient pas suffisamment incités à se former en continu. Les employeurs estiment que les collaborateurs prennent eux-mêmes l’initiative de se familiariser avec les dernières versions des programmes Microsoft. »
Pas question, pour Caroline Pauwels, de culpabiliser les travailleurs. « Il y a beaucoup d’angoisse et donc aussi de résistance, chez les gens. L’employeur doit savoir qu’une mise à jour des compétences peut être anxiogène. Certaines personnes refusent explicitement de poursuivre dans cette voie, au point de créer un problème. Proximus et les banques en sont un bel exemple : ces entreprises licencient du personnel pour engager d’autres personnes qui détiennent les compétences digitales requises. Peu d’entreprises développent un parcours permettant aux collaborateurs de suivre les développements tout en douceur. »
Les entreprises devraient également être attentives aux modes de coopération et d’interaction différents qu’induit l’informatique. « Nous avons une politique e-mail à la VUB. Parfois, il faut être capable de ne pas réagir à de tels stimuli. La communication à distance peut générer des messages mal perçus. Nous constatons l’importance d’un bon équilibre. Depuis que la vie privée et le travail empiètent l’un sur l’autre, il faut être capable de se déconnecter. Cela nécessite également des compétences, pour ne pas se sentir coupable. »
Caroline Pauwels
Guy Tegenbos
Les compétences du 21e siècle selon l’OCDE
- la pensée critique
- la pensée créative
- la réflexion axée sur la résolution de problèmes
- la réflexion informatique (comprendre comment la technologie peut résoudre les problèmes)
- des compétences en information
- des compétences informatiques de base
- l’éducation aux médias
- la communication
- la collaboration
- les compétences sociales et culturelles
- l’autorégulation