Il ne faudrait pas que l’exercice de la justice se déconnecte de la réalité. C’est la raison pour laquelle, au tribunal du travail, le juge professionnel siège avec deux juges qui ne sont pas des magistrats de carrière. Dirk Knegtel est un de ces juges sociaux, un juge employeur (les juges employeurs sont désignés par les organisations d’employeurs). Il est par ailleurs Director Industrial & Social Relations chez Tui Airlines. Ce que représente son activité de juge ? « Veiller à ce que les magistrats professionnels restent en contact avec la réalité sociale. »
On n’a pas souvent l’occasion de s’initier au fonctionnement d’un tribunal. Certes, des séries TV nous ont plus ou moins familiarisés avec les tribunaux correctionnels et la gestion d’un dossier pénal. Mais qu’en est-il d’un tribunal du travail ? Voilà qui ne passionne guère les masses. Cela risque de changer. Le juge social employeur Dirk Knegtel nous dévoile partiellement ce système juridique peu commun.
Ruptures de contrat, litiges en matière de sécurité sociale ou de pécule de vacances… Le tribunal du travail traite une grande variété de cas. Dans ce genre d’affaires, le juge reçoit l’assistance de deux juges sociaux. Contrairement au magistrat professionnel, ces deux juges n’exercent pas à titre de profession. Ils ont pour fonction de garder le tribunal en contact avec la réalité du monde du travail.
La réalité sociale
« Notre rôle théorique consiste à maintenir les magistrats professionnels en contact avec la réalité sociale sur le terrain », explique M. Knegtel. « Cela n’élimine pas pour autant les arguments juridiques lors des délibérations. Il est certes utile, pour un juge employeur, d’avoir bénéficié d’une formation juridique, mais ce n’est en aucun cas une condition. Je connais des juges non professionnels qui ont étudié la littérature ou la philosophie mais que l’expérience professionnelle a dotés d’une sérieuse connaissance de la législation sociale. »
Dirk Knegtel est juriste de formation et travaille depuis de longues années dans le transport aérien. Il est aujourd’hui Director Industrial & Social Relations chez TUI Airlines, gère les relations avec les syndicats et suit les activités de trois commissions paritaires. Il a siégé pendant 24 ans comme conseiller au CPAS de sa commune de résidence Sint-Katelijne-Waver, à proximité de Malines. Bref, voilà des années qu’il suit de près la législation ET la réalité sociales. Il est devenu juge social employeur sur présentation de Beci.
Cas particulier
Le juge non professionnel apporte aide et conseil au magistrat. Il représente les employeurs, les salariés ou les indépendants, selon le sujet traité. « Je suis un cas un peu particulier », admet M. Knegtel. « Les juges employeurs se répartissent essentiellement en deux catégories : d’une part des directeurs du personnel avec un bon bagage en droit social, et d’autre part des gens qui appartiennent à des organisations professionnelles telles qu’Agoria ou la Confédération du Bâtiment. Je suis quelque peu différent. Cela se remarque notamment aux chambres (où sont plaidées les diverses affaires, ndlr) que j’ai choisies. La plupart des juges sociaux privilégient les affaires contractuelles. Moi, j’ai opté pour les quinzième et seizième chambres, qui traitent des revenus d’intégration, de l’assistance sociale et des litiges avec Fedasil. Le tribunal n’en revenait pas de mon choix (rires) mais en était très heureux. »
Knegtel siège un ou deux jours par mois. « Ce n’est pas une activité hebdomadaire, que l’on pourrait d’ailleurs difficilement exiger de la part de juges non professionnels », explique-t-il. « S’il est vrai que certains juges restent actifs au-delà de l’âge de la pension, ce sont là des exceptions. L’objectif n’est évidemment pas de multiplier les retraités dans ces fonctions, puisque les juges sociaux doivent contribuer à l’exercice de la justice par leur connaissance de l’environnement professionnel. »
Neutralité garantie
Il reste à savoir si ce système de juges non professionnels répond encore à notre époque. Notre pays se distingue de la France, où la justice du travail est exercée intégralement par des juges non professionnels. Un magistrat professionnel ne siégera au sein du Conseil de Prud’hommes que si les juges non professionnels réclament son assistance. À l’inverse, la justice du travail est entièrement professionnalisée aux Pays-Bas. « Je trouverais dommageable que le gouvernement professionnalise totalement les tribunaux du travail. Même les magistrats professionnels sont favorables au maintien du système actuel. Notre savoir-faire est pris en compte. Lorsque j’avance des arguments, on m’écoute. »
La neutralité est également garantie. Un juge social ne siège pas pour défendre les intérêts de ceux qu’il représente, mais pour rendre un jugement objectif, collégialement, entre juges sociaux et magistrat professionnel. « Notre formation nous enseigne que nous sommes des juges à part entière. Or, on attend d’un juge qu’il rende justice en évaluant l’affaire et les arguments. J’ai notamment siégé dans un CPAS. Vous pourriez en déduire que lors des délibérations, je prenais systématiquement le parti du CPAS dans les affaires traitées. Ce n’était vraiment pas le cas. Je n’évalue jamais en fonction de mes sentiments. Ce qui compte, ce sont les faits et la situation juridique, en toute objectivité. C’est en tant que juge que j’assiste le magistrat professionnel. »
Ce qu’est un juge social
- Il n’est pas un magistrat professionnel.
- Il est nommé par le Roi sur proposition des organisations sociales d’employeurs, de travailleurs indépendants et de salariés.
- Il assiste les magistrats professionnels dans les litiges entre salariés, employeurs et indépendants.
- Il a au moins 25 ans et ne peut pas être militaire, notaire, huissier de justice, ecclésiastique ou avocat. Il ne peut pas exercer de mandat politique en tant qu’élu.
- Il siège pour une durée de cinq ans, reconductible.
- Le tribunal du travail de Bruxelles est en même temps le plus grand pour la Flandre. 70 juges sociaux y siègent.