Etablissement à succès, le bar dansant « Madame Moustache » a trouvé en la PRJ (Procédures de Réorganisation Judiciaire) un bouclier face aux coups du sort.
On peut allier amour de la fête et rigueur de gestion. Ce pari, c’est celui qu’a voulu tenir Maud Partouche depuis la création en 2010 de « Madame Moustache », bar dansant du centre-ville devenu haut lieu des nuits bruxelloises. Concerts, soirées à thèmes, cabarets…Le lieu trouve très vite son public et s’avère un vrai succès. « Depuis les débuts de l’aventure, nous avons toujours voulu être auto-financés et éviter les emprunts », confie la Parisienne de souche, qui a vu en Bruxelles la ville idéale où développer ses projets.
Mais à partir de mars 2020, le bar subit de plein fouet les conséquences du Covid. Forcé de fermer ses portes, Madame Moustache les réouvrira ensuite durant 7 semaines entre juin et octobre de la même année. Trop peu pour sortir la tête de l’eau. « Nous avions déjà traversé les attentats de 2017 et les conséquences de la piétonisation du centre. Mais là, c’était impossible. Je ne disposais pas de la trésorerie nécessaire pour assurer 18 mois de loyer sans rentrées », explique Maud Partouche.
Cas d’école du secteur de la nuit
Confrontée à une dette sursitaire de plus de 240.000 euros et des fonds propres négatifs de 35.000 euros, elle et son associé, Philippe Fatien, se tournent alors vers le tribunal de l'entreprise francophone de Bruxelles afin de se mettre à l'abri de leurs créanciers via une procédure en réorganisation judiciaire (PRJ). Représentés par Cédric Alter et Fryderyck de Peslin Lachert, du cabinet Janson, ils introduisent au terme d’un sursis de six mois, un plan de poursuite des activités. « Madame Moustache est un cas d’école. Entre payements TVA mensuels, droits SABAM et autres frais récurrents, beaucoup d’autres dans l’Horeca se sont retrouvés coincés, non par un problème de rentabilité, mais un problème temporaire de maîtrise de dettes », explique Fryderyck de Peslin Lachert, par ailleurs avocat de la Brussels By Night Federation, qui regroupe le secteur de la nuit à Bruxelles.
Le budget prévisionnel présenté au tribunal repose sur plusieurs sources de revenus. En plus d’une prime Covid (Tetra), Madame Moustache ajoutera à ses activités de nuit des services Horeca en terrasse pendant la journée. La gérante a en effet compris qu’exploiter le lieu de diverses façons est une clé de rentabilité. « Entre locations temporaires pour des tournages, espaces pour écoles de dance, mariages, sociétés…Le lieu vit quasi 24 heures sur 24 », explique-t-elle.
Deux PRJ en 3 ans
Le Covid passé, Madame Moustache retrouve instantanément le succès. « On était hyper heureux. On pouvait suivre le plan très facilement, au point d’envisager un remboursement anticipatif des créanciers ». Las ! En septembre 2022, alors qu’elle s’apprête à conclure sa meilleure année financière, une nouvelle tuile s’abat sur Madame Moustache. Un incendie accidentel ravage la quasi-totalité du lieu. Les discussions avec les assurances s’annoncent longues et difficiles. Rapidement, Maud Partouche sollicite à nouveau Fryderyck de Peslin Lachert et s’engage dans sa deuxième PRJ en moins de trois ans. « C’est tout à fait possible en droit belge, pour peu que cette deuxième procédure ne paye pas atteinte aux droits acquis par les créanciers dans la première », précise ce dernier.
Un tribunal expert…et humain
Maud Partouche se remémore ces moments avec une certaine émotion. « Pour quelqu’un qui met un point d’honneur à ne pas avoir de dettes, s’engager dans une telle démarche met toujours mal à l’aise. Mais que ce soit dans la première PRJ ou la seconde, j’ai été surprise par l’humanité du tribunal. A chaque fois que j’en sortais, je ressentais du soulagement plutôt que de la culpabilité ». Fryderyck de Peslin Lachert confirme. « De façon générale, le tribunal fait preuve d’une attitude très soutenante. Plutôt que d’adopter des positions excessivement restrictives, il se perçoit comme un dernier rempart à la faillite, un recours susceptible de sauver ce qui peut encore l’être », explique-t-il.
Le bon timing
Cette empathie est le fruit d’une bonne compréhension des situations plutôt que d’une quelconque sensiblerie. Entre virus et dégâts des flammes, Maud Partouche avait pour elle de n’être en rien responsable des coups du sort frappant son établissement, dont elle avait fait un vrai succès commercial. « Le tribunal se base sur une analyse minutieuse des pièces et sur l’expertise économique – qui est réelle – de ceux qui y siègent », souligne Fryderyck de Peslin Lachert, qui se réjouit d’avoir pu maintenir en vie un établissement condamné pendant plusieurs années à l’inactivité. Il insiste aussi sur l’adoption du bon timing. « Le passif doit être maximisé au moment de l’introduction de la requête afin d’en élargir l’impact, tout en ne tardant pas trop pour ne pas tomber dans un scénario de faillite ou de discontinuité ».
Beaucoup de ténacité
Madame Moustache aura aussi pu compter aussi sur la compréhension de ses fournisseurs. Le brasseur Alken-Maes en premier, à qui elle sous-loue l’espace. Pour autant, entre litige avec les assureurs, permis de reconstruction et travaux, il lui aura fallu beaucoup de ténacité – et les encouragements constants de son avocat – pour ne pas jeter l’éponge. « Aujourd’hui, le bar fonctionne à nouveau. Mais avec l’apurement qui continue, j’ai l’impression de ne travailler que pour sauver mon premier bébé », confie cette mère de famille. Entre atelier de tatouages et business événementiel, la Parisienne dirige aussi plusieurs autres sociétés. « Je ne fais absolument pas de politique. Mais je m’interroge quand même sur la logique d’un système où il s’avère plus rentable de fermer plusieurs jours par semaine que de donner du travail aux gens. Aujourd’hui, on passe son temps à vérifier de la paperasse plutôt qu’à développer les activités », ajoute-t-elle. Sans se départir toutefois de son enthousiasme. Que la fête continue !