Relancer le dialogue social en mode agile et opérationnel

24 octobre 2018 par
BECI Community

De nouvelles formes de dysfonctionnement social apparaissent alors que les entreprises prétendent offrir du « bonheur au travail ».  Et si la solution consistait pour les DRH à relancer le dialogue social grâce au « middle-management » plutôt qu’à le faire eux-mêmes ? 

 

Drôle d’époque

Le paradoxe est étonnant. Les entreprises ambitionnent d’apporter du bonheur au travail mais les burn-out et plaintes pour harcèlement moral se multiplient. Et malgré la transformation des organisations censée nous « libérer », rien ne change. Bien au contraire.

Avec d’un côté des travailleurs qui se sentent de moins en moins représentés par les organisations syndicales et d’un autre, un middle-management qui n’a jamais été aussi désengagé, que peuvent faire les Ressources Humaines pour enrayer les dysfonctionnements sociaux ?

 

Se transformer ou disparaître

Traitons d’abord de la question du bien-fondé ou non de la transformation des organisations.

On peut en penser ce que l’on veut et il ne s’agit pas d’être pour ou contre. C’est une tendance inéluctable que rien n’arrêtera, et c’est tant mieux. En effet, les changements technologiques, l’évolution des marchés, la marche du monde, les nouvelles exigences des consommateurs poussent les entreprises à s’adapter.

Cela a évidemment toujours été le cas, mais deux choses différencient cette époque des précédentes : la vitesse et la fréquence auxquelles les entreprises doivent s’adapter.

Les organisations traditionnelles, plutôt pyramidales et héritées de la révolution industrielle, ne peuvent plus répondre à ce double défi. La transformation n’est pas un choix mais bien une absolue nécessité pour être pérenne.

C’est ainsi que des formes d’organisations agiles apparaissent et promettent :

  • plus de réactivité et de vélocité
  • de redonner du sens, de l’autonomie et de la confiance à chacun dans l’organisation

Sur le dernier point, force est de constater que nous n’y sommes pas encore.

La difficulté réside dans la transition du modèle pyramidal vers un modèle agile. Elle est souvent plus longue et difficile que prévu et elle amplifie les dysfonctionnements sociaux que le modèle agile promet de résoudre.

Pas question cependant de jeter le bébé avec l’eau du bain. Les transitions sont par définition des périodes de déséquilibre :  à court terme, on crée plus de problèmes que l’on en résout. Mais c’est le long terme qui compte et il est donc impératif d’avoir la détermination nécessaire pour « transiter » rapidement d’un modèle vers l’autre.

Dans ce contexte, les Ressources Humaines, qui sont souvent en charge de la conduite du changement, devraient s’assurer qu’un accompagnement significatif soit prévu pour accompagner l’exécution de la transformation.

En effet, 70 % des transformations n’aboutissent pas complètement du fait d’une exécution incomplète. La raison en est toujours la même : des ressources importantes sont affectées à la réflexion stratégique et beaucoup moins au déploiement proprement dit.

La question n’est donc pas « faut-il changer ? » mais bien « comment changer ? ». Comment éviter que la transformation n’amplifie durablement les dysfonctionnements sociaux ? Le bonheur au travail est-il un mythe ?

 

Bonheur ou dysfonctionnements sociaux

On peut légitimement se poser la question de savoir si c’est bien le rôle de l’entreprise de procurer du bonheur au travail. Dans son excellent livre « Happiness, le grand livre du bonheur », Leo Bormans démontre que les populations qui se déclarent les plus heureuses ne sont pas celles chez qui le travail tient une place centrale comme chez nous. Le bonheur est ailleurs.

Je propose de plutôt parler d’épanouissement au travail. Ce serait plus humble et plus réaliste. Et déjà terriblement ambitieux. L’émergence de nouveaux dysfonctionnements sociaux semble toutefois indiquer que ni le bonheur ni l’épanouissement ne sont au rendez-vous.

Ces nouveaux dysfonctionnements prennent des formes très différentes :

  • augmentation des plaintes pour harcèlement moral,
  • multiplication des burnout,
  • développement de mouvements politiques aux extrêmes…

L’entreprise serait-elle devenue un environnement toxique ? Les canaux habituels du dialogue social sont-ils bouchés ?

À la seconde question, la réponse est OUI ! Les représentations syndicales et le management se sont progressivement coupés de ceux qu’ils étaient supposés soutenir. En conséquence, les Ressources Humaines manquent de relais fiables pour piloter le dialogue social, sont obligées de monter en première ligne et d’être au four et au moulin.

Comment en est-on arrivé là ?

 

Des représentations syndicales coupées de la base 

Assez ironiquement, des études montrent que les travailleurs syndiqués sont moins heureux que ceux qui ne le sont pas. Doit-on en déduire que les organisations représentatives seraient, elles aussi, toxiques ? Évidemment non !

La raison de ce paradoxe est plutôt à chercher dans un mouvement de renforcement mutuel. Les salariés « encartés » ont des profils plus volontiers enclins à être insatisfaits, et ils sont encouragés en cela par des organisations syndicales qui attirent l’attention sur les problèmes.

Quoi qu’il en soit, les salariés, syndiqués ou non, se sentent de moins en moins représentés. Pourquoi ?

À leur création et pendant leur développement (du milieu du 19e au milieu du 20e siècle), les organisations étaient totalement dédiées à l’amélioration – nécessaire – des conditions de travail de leurs membres. Elles traitaient alors les problèmes concrets des salariés et avaient un réel impact.

En devenant matures, et ayant enregistré des avancées déterminantes, les organisations syndicales se sont institutionnalisées. Progressivement, elles se sont faites les porte-voix d’enjeux politiques globaux plutôt que de ceux très concrets des salariés dans l’entreprise.

À cela s’ajoute que le contexte social est devenu moins binaire, l’idéologie de lutte des classes recule et l’individualisme grandit.

Enfin, la transformation des organisations (encore !) modifie fondamentalement le fonctionnement des entreprises. L’action syndicale perd ses repères traditionnels et n’a pas encore trouvé les nouveaux.

Résultat ? Les organisations syndicales ont graduellement perdu leur représentativité.

L’affaiblissement de la représentativité est une mauvaise nouvelle. Cela prive les RH d’un capteur privilégié des irritants sociaux qui polluent le fonctionnement de l’entreprise. Cela les prive également d’un solide partenaire de négociation.

Quel partenaire alors pour les Ressources Humaines ? Le management ? C’est loin d’être évident…

 

Un middle-management désengagé

D’aucuns prédisent la disparition du middle-management. Il deviendrait inutile sous l’impulsion de la digitalisation et des équipes autogérées. Je n’y crois pas. Le rôle va changer, mais pas disparaître.

En attendant, le middle-management est à bout de souffle. Il est pris en étau entre le top management à qui il rapporte et les équipes qu’il anime. Il est à la fois porteur de la vision stratégique et témoin des difficultés des équipes à la mettre en œuvre.

Dans la pratique, le middle-management n’a plus ni l’autorité, ni les moyens de réconcilier vision stratégique et exécution de la stratégie. Il n’intervient pas concrètement sur la stratégie de l’entreprise pas plus qu’il n’a d’autonomie pour donner aux équipes les moyens nécessaires.

Il est donc en permanence en porte-à-faux, souvent frustré et finalement à bout de souffle.

Plus grave pour le dialogue social, le middle-management n’a plus la possibilité d’être au contact des équipes qu’il anime. En effet, les managers déclarent que 86% des tâches n’impliquent aucun contact avec leurs équipes.

La conséquence directe est qu’ils n’ont plus les moyens de traiter ou de relayer les difficultés rencontrées par leurs équipes. Les irritants prospèrent et les dysfonctionnements sociaux se multiplient.

Pire, le middle-management préfère souvent ne pas s’engager dans le dialogue social. Ils n’y sont d’ailleurs souvent ni formés ni préparés. Et leurs objectifs annuels, sur la base desquels ils sont évalués, reflètent rarement – pour ne pas dire jamais – leur rôle social.

Les Ressources Humaines ne peuvent donc plus s’appuyer sur le management qui devrait être leur allié naturel. Au contraire, elles doivent régulièrement se substituer à lui et corriger ses défaillances dans l’urgence.

 

L’émergence de nouveaux dysfonctionnements

Puisque les organisations représentatives le sont de moins en moins et que le middle-management est largement désengagé, comment les salariés peuvent-ils exprimer leurs difficultés ? Comment les Ressources Humaines peuvent-elles gérer cette situation ?

Comme l’eau se fraye toujours un chemin, les irritants sociaux non traités finissent toujours par trouver le moyen de s’exprimer. Et si les deux interlocuteurs habituels (syndicat et management) sont aux abonnés absents, le mécontentement trouve de nouveaux moyens de s’exprimer.

L’exemple du harcèlement moral est éclairant. Il n’est pas du tout certain qu’il y ait réellement plus de cas avérés de harcèlement que précédemment. Par contre, il existe désormais une procédure, une voie parfois utilisée pour s’assurer la reconnaissance de réelles difficultés de terrain que plus personne ne traite.

Dans ce contexte, comment les Ressources Humaines doivent-elles se positionner ? Comment ne pas être à la fois substitut du management, alternative aux organisations syndicales et représentant de l’entreprise ?

 

Déléguez le dialogue social !

A-t-on déjà vu un commandant de bord en même temps charger les bagages, distribuer les repas, faire le duty-free, nettoyer l’avion, faire le plein… ? Non, il délègue, coordonne et s’assure que la destination sera atteinte en toute sécurité.

Le rôle des Ressources Humaines est le même. C’est de piloter le dialogue social. Pas de le gérer au quotidien ! Sinon, il faudrait que les RH soient présents partout, tout le temps et experts de tous les métiers de l’entreprise. Impossible !

Alors qui ? Le management !

Il est partout, tout le temps et collectivement expert de tous les métiers. Et surtout, c’est son rôle premier de s’assurer du bon fonctionnement des équipes. Personne n’est mieux placé que le middle-management pour détecter les irritants sociaux ou pour mobiliser les moyens de l’entreprise pour les traiter.

 

Pour y arriver, une solution : restaurer la proximité

  • géographique : se rencontrer, échanger en 1to1…
  • temporelle : être régulièrement et durablement en relation…
  • métier : montrer de l’intérêt pour le métier, comprendre, faciliter, développer…

 

Restaurer la proximité, c’est traiter les irritants, c’est restaurer un dialogue social impactant et c’est réduire les dysfonctionnements. C’est aussi redonner du sens et retrouver l’engagement.

 

Relancer le dialogue social en mode agile et opérationnel

Si l’on veut que les Ressources Humaines soient en situation de piloter le dialogue social et que le management soit en position de le gérer, il faut remettre en question des croyances et des pratiques encore largement existantes.

Il faut envisager le dialogue social différemment, oser de nouvelles pratiques, plus agiles et résolument opérationnelles !

 

7 choses à faire :

 

1) Changer de posture : faire comprendre que les relations sociales sont d’abord l’affaire du middle-management, pas des Ressources Humaines.

2) Former aux relations sociales opérationnelles : sensibiliser le management à son rôle social. Gérer une équipe, c’est faire des relations sociales.

3) Poursuivre la transformation des organisations : aplatir les structures, libérer les énergies, redonner du sens, stimuler l’autonomie et la collaboration.

4) Intégrer plutôt que segmenter : intégrer les relations sociales dans la responsabilité collective, les intégrer dans les objectifs individuels du management.

5) Lâcher prise : laisser faire le management. Dès lors qu’il est formé et responsabilisé, il est mieux placé que les Ressources Humaines pour agir.

6) Changer la vision : cesser de voir les organisations syndicales comme des adversaires. Le dialogue social a besoin de partenaires réellement représentatifs.

7) Apprendre à coopérer : mettre ses ressources en commun, sans contrepartie, et faire émerger les meilleures solutions possibles. Coopérer n’est pas négocier.

 

En actionnant ces différents leviers, les entreprises peuvent recréer les conditions d’un dialogue social vertueux où elles vont traiter les causes des dysfonctionnements sociaux plutôt que leurs effets.

Enfin, en aidant le middle-management à retrouver toute la noblesse de son rôle, les Ressources Humaines contribuent à redonner du sens à toute l’organisation.

Envie de partager des idées, des expériences ? Curieux d’échanger sur la manière de mettre ceci en place dans votre organisation ?

Rejoignez-nous le 16 novembre :   RH et relations sociales : Et si vous déléguiez au Middle Management ?

Pierre-Alain Scharff

Consultant en transformation des organisations et leadership, chargé de cours à l’ICHEC et à l’EPHEC et administrateur indépendant.

 

 

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