Droit subjectif et autonome de retrait en Belgique ?

Par  -  - 4 mai 2020 à 11:05 

Qu’est-ce que le droit de retrait ?

La grand-messe cathodique du 20 heures hexagonal est très populaire chez nous aussi, prenant ainsi le relais des journaux télévisés belges qui se terminent.  Aussi, avons-nous tous entendu parler, ces dernières semaines, du « droit de retrait » dont usent les travailleurs français en ces temps de pandémie. De quoi s’agit-il encore ? Il s’agit du droit du travailleur de se retirer d’une situation dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Autrement dit, le travailleur apprécie de manière autonome l’état de mise en danger de sa santé sur son lieu de travail et, le cas échéant, décide de ne plus aller prester tout en recevant son salaire.

L’imminence du confinement amène de nombreux travailleurs belges à se poser des questions, légitimes, sur ce qui est mis œuvre dans leurs entreprises afin de les protéger. Rappelons à cet égard que, en marge des mesures ponctuelles et circonstanciées d’hygiène et de distanciation, le droit du travail prévoit, au travers de la loi du 4 août 1996 sur le bien-être au travail et de ses mesures d’exécution rassemblées dans le Code du bien-être au travail (CBE), une obligation pour l’employeur d’élaborer une stratégie de gestion dynamique des risques sur le lieu de travail. Il est heureux que ces mesures, multiples et contraignantes, existent pour anticiper et protéger. Mais il ne faut pas perdre de vue que le contrat de travail constitue un socle d’obligations et de droit réciproques et entrelacés, dans lequel le travailleur doit prester lorsque l’employeur remplit ses obligations légales et réglementaires.

 

Il n’existe pas, en Belgique, un droit subjectif et autonome de retrait

Aussi, pensons-nous important d’inciter à la prudence quiconque voudrait entendre, ou croire que, à l’instar de ce qui est repris dans le Code du travail français, le travailleur disposerait en Belgique d’un droit subjectif et autonome de retrait. D’aucuns tentent d’exhumer une telle possibilité en prenant appui sur l’article 1.2-26 du CBE. C’est oublier que cette disposition ne se suffit pas à elle-même mais s’intègre dans un chapitre dont le dessein est d’obliger l’employeur à élaborer un plan d’urgence à mettre en œuvre pour la protection des travailleurs lorsque cela s’avère nécessaire suite aux constatations faites lors de l’analyse des risques (c’est un des aspects de la stratégie évoquée de gestion dynamique des risques). Et, dans ce cadre, le salaire est garanti au travailleur contraint de s’éloigner de son poste lorsqu’un danger grave et immédiat advient, et qui doit d’ailleurs en avertir immédiatement sa ligne hiérarchique. Nulle part, il n’est question d’un droit subjectif et autonome d’auto-gestion ou d’auto-estimation du risque avec un supposé droit de retrait en réponse.

 

Le travailleur n’est toutefois pas sans protection

Le travailleur n’est pas sans protection pour autant : si le plan d’urgence n’est pas fait, si les risques ont été mal évalués ou sous-estimés, ou si de manière générale les dispositions du CBE n’ont pas été respectées par l’employeur, ce dernier pourra être contrôlé par les services d’inspection ad hoc, interpellé par le Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) ou la délégation syndicale, ou encore poursuivi devant une juridiction civile ou pénale. Mais, à l’inverse, si l’employeur respecte les obligations légales et réglementaires évoquées, le travailleur doit remplir sa part du contrat et prester, sans pouvoir s’arroger un droit à l’inactivité rémunérée.

 

Le miroir aux alouettes

Le droit de retrait est donc un particularisme que l’on retrouve notamment en droit français. On se dit d’ailleurs que si le copier-coller en droit belge était si évident, cela fait longtemps que les praticiens belges s’en seraient saisis puisque cette spécificité existe chez nos voisins depuis 1982. Invoquer le droit international ne nous semble pas plus pertinent. La directive européenne 89/391 du 12 juin 1989 ne crée pas de droit de retrait autonome et, si un éloignement du poste avec maintien de salaire y est prévu, c’est tout autant dans un contexte plus général de gestion dynamique des risques, à l’instar de ce qui a été décrit à propos du CBE. Si la Convention n°155 de l’Organisation Internationale du Travail évoque l’hypothèse du retrait, elle s’est bien gardée de l’instituer en droit. Elle privilégie le dialogue social et renvoie aux conditions et pratiques nationales.

Dans le contexte anxiogène dans lequel nous vivons, véhiculer l’idée qu’il existe en Belgique un véritable droit de retrait pour les travailleurs, nous paraît hasardeux et de nature à créer une réelle insécurité qui ne sera pas uniquement juridique.

La prudence est mère de toutes les vertus. Ce principe, plus que jamais d’actualité au niveau sanitaire en 2020, peut s’appliquer trait pour trait à la matière juridique. Le droit, que l’on dit souvent passéiste, est appelé à fournir des réponses immédiates face à une situation inédite et urgente. Nous n’avons rien contre le fait de lui demander de se faire violence pour être novateur et inventif. Mais pas au risque de la dénaturer. A défaut, c’est tout l’équilibre subtil des relations sociales au sein des entreprises qui sera compromis. Et personne n’y a intérêt.

 

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