Urbanisme bruxellois : l’usine à gaz

7 mai 2019 par
BECI Community

Candidats à une transaction immobilière, prenez-en acte : les voies des services d’urbanisme sont impénétrables, les relations déséquilibrées, l’arbitraire présent et les délais insupportables. Nous avons donné la parole au notaire et député bruxellois Olivier de Clippele et à l’architecte Vincent Dehon.

Une réforme du Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire a été votée et doit améliorer les choses. Où en est-on ?

« Nous n’en sommes qu’à la 23e modification du Cobat depuis son adoption en 2004. L’ensemble reste très incomplet. La refonte prévue, portée par M. Vervoort, n’a donné lieu à un vote qu’en octobre 2017, puis il a fallu six mois pour le voir publié et son entrée en vigueur est aujourd’hui reportée ! Particuliers et professionnels resteront donc les dindons d’une farce qui ne fait plus rire grand monde. Pourtant, elle risque bien de se prolonger : avec le renvoi de la réforme au-delà du 26 mai, le risque est qu’une équipe politique nouvelle ne veuille y apporter des modifications, prolongeant ainsi l’incertitude et l’insécurité juridique pour les acheteurs et vendeurs, à la merci de diverses administrations tatillonnes – je dis tatillonnes car procédurières à outrance. Le bon sens qui prévalait autrefois en matière d’urbanisme semble complètement dissipé dans une volonté d’application presque littérale de règlements par ailleurs peu clairs, sujets à interprétation et reposant sur de multiples textes parfois contradictoires. »

De combien de cas parle-t-on lorsqu’on évoque la gestion chaotique de dossiers par l’urbanisme ?

« On peut estimer qu’environ 200 dossiers – par mois ! – sont problématiques. C’est un problème terrible, d’autant qu’il repose essentiellement sur des arcanes procéduriers, des opacités de texte. Un architecte qui élargit une fenêtre de quelques centimètres après approbation de son dossier sera aussi en infraction. Ce sont des infractions qui n’en portent que le nom, mais l’administration peut ne pas l’entendre de cette oreille. Et dans l’état actuel des choses, aucune prescriptionn’effacera ces ‘fautes’. »

Le zèle administratif est peut-être justifié par une protection des acteurs lors des transactions immobilières ?

« Si une application tatillonne des règlements protégeait un acteur, je comprendrais, mais les renseignements que celui-ci doit fournir n’ont aucune validité juridique. L’administration peut laisser passer quelque chose aujourd’hui puis revenir à la charge demain : la prescription n’existe pratiquement pas en Région bruxelloise. Donc, les procédures procédurières ne sécurisent personne. Elles font perdre énormément de temps et d’argent. Les tribunaux en ont d’ailleurs assez et déboutent très facilement les administrations pour des cas clairs d’infractions mineures. La majorité en cours, PS-cdH-Défi (1), a réagi en votant une mesure qui accorde l’autorisation pour l’administration de lever des amendes ! Puisque la justice ne suit pas, faisons justice nous-même en quelque sorte. Votre recours alors est le Conseil d’État… »

Sans prescription, tout un chacun est donc soumis à une potentielle inquisition administrative ?

« À Bruxelles, vous devez justifier d’un bâtiment même s’il a deux siècles. Suite à une question parlementaire que j’ai posée, le Ministre-Président a confirmé que tout ce qui avait été construit avant mars 1962 devait être considéré comme régularisé. Mais toutes les administrations ne l’acceptent pas ! Si vous disposez, par exemple, d’une véranda construite en 1963, votre voisin ne peut la contester civilement car elle a plus de 30 ans, mais la commune le peut ! Cet exemple qui paraît anecdotique, il y en a des milliers ! Il faudrait que l’on décide une fois pour toute de prescrire et de ne maintenir que les problèmes de sécurité. »

Les délais de traitement des dossiers en Région Bruxelloise sont les plus longs du pays, voire d’Europe. La réforme du Cobat y remédie-t-elle ?

« Je ne pense pas. Le nouveau Cobat introduit la notion de ‘délai de rigueur’, lequel n’entraine pas acceptation du permis mais permission d’aller en recours : si une commune ne répond pas dans le délai imparti, vous pouvez vous pourvoir d’office à la Région. Mais la parade des communes, c’est de mettre du temps à déclarer le dossier complet, donc le délai ne commence pas ! Si vous réclamez, ils vous trouvent un petit quelque chose pour déclarer votre dossier incomplet, puis font des remarques et vous recommencez. Ces délais ont un coût, répercuté bien sûr sur l’acheteur. »

Vincent Dehon : « On nous fait lanterner jusqu’à trois ans »

À l’interface administration/public, les architectes sont bien placés pour évoquer les joies de notre urbanisme. Vincent Dehon, administrateur de GS3 architectes associés, aborde la question sous l’angle des délais de traitement des dossiers.

La Région semble être championne toute catégorie des délais à rallonges ; réputation méritée ?

« Haut la main ! Les communes sont particulièrement lentes et ne respectent pratiquement jamais les délais prévus de 30 jours pour délivrer un accusé de réception puis, généralement, de 120 jours pour rendre une décision. On peut nous faire lanterner jusqu’à trois ans lorsque les choses se compliquent. Comme les communes et la Région ne sont pas sanctionnables, il n’y a pas de raison qu’elles se pressent ou engagent du personnel pour résorber leur retard. Face à ce constat, la réforme du Cobat introduit la notion de ‘délai de rigueur’. Si les délais ne sont pas respectés, vous pourrez dans les 30 jours saisir le fonctionnaire délégué ; celui-ci aura alors à nouveau 45 jours, majorés de parfois 45 autres jours pour diverses raisons, afin de statuer sur votre dossier. Un tour de passe-passe qui permet d’inclure le retard moyen dans un délai légal. »

Et si ce délai de rigueur est dépassé et que vous n’avez pas saisi le fonctionnaire délégué ?

« Cela équivaut à un refus de permis : vous êtes reparti pour un tour de manège. »

Hormis la question de nos délais, quelle autre faiblesse présente la gestion bruxelloise de l’urbanisme ?

« L’introduction d’un dossier est un engagement dans un processus incontrôlable. La multiplicité des textes sur lesquels s’appuie le Cobat ; la multiplicité des niveaux de pouvoir qui se sentent concernés ; la crainte des fonctionnaires d’essuyer un recours ; l’inanité de certaines dispositions que revendiquent certaines communes ; l’immixtion des communes dans certains projets, où elles substituent leur « vision » à l’expertise d’un promoteur… Enfin, l’incertitude est renforcée par le clientélisme, conséquence directe d’une administration grippée : la tête du client joue hélas sa part dans l’obtention d’une décision. »

Une mesure significative du nouveau Cobat ?

« Il était prévu que ce chemin de croix qu’est l’obtention d’un permis soit balisé par une ‘réunion de projet’ préalable à toute demande. Tous les intervenants se réunissent, on discute, on amende, etc. puis on rédige un PV de l’avis dégagé et les choses sont clarifiées en amont. C’est évidemment utile au plus haut point. Dans le nouveau Cobat, cet avis n’est plus engageant ; il ne sert donc à rien et cette réunion perd tout son sens. »

L‘urbanisme bruxellois, usine à gaz ?

« Une des plus fumeuses jamais créées… »

 

(1) Précisons qu’Olivier de Clippele (MR) siège dans l’opposition.

BECI Community 7 mai 2019
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