Autrefois considérée comme la capitale des services, Bruxelles cache sous ses pavés une industrie urbaine en constante réinvention. De son passé glorieux à son avenir plus vert et plus connecté, l'industrie bruxelloise connaît un renouveau plutôt remarquable.
À Bruxelles, l'industrie urbaine n'a pas dit son dernier mot. Si la capitale a longtemps été dominée par les services, son passé industriel n'est pas un souvenir révolu. En réalité, elle est aujourd'hui au cœur d'une transformation, redécouvrant un secteur capable de s'adapter aux défis contemporains. Non pas que cette réindustrialisation se résume à un retour en arrière, mais aujourd’hui, elle est capable de répondre aux enjeux écologiques tout en soutenant l'emploi et l'économie locale. Une évolution délicate, qui doit jongler avec les exigences de la ville moderne, sa densité croissante, et les impératifs environnementaux. Si le chemin est semé d’embûches, des initiatives comme la création d’une usine à coques de Vivaqua démontrent qu’un avenir industriel durable à Bruxelles est bel et bien possible.
Une ville industrielle au cœur
de l’Histoire
Depuis le Moyen Âge, Bruxelles a toujours été un centre de production textile, notamment de laine. Au fil du temps, l'industrie bruxelloise s'est diversifiée, intégrant des secteurs comme la métallurgie, la chimie et l'agroalimentaire. Pourtant, c’est au XXe siècle que la capitale a connu son apogée industrielle, avec des secteurs comme la confection, l’automobile et les produits chimiques, faisant d’elle la première ville industrielle du pays. En 1970, Bruxelles était encore en tête de course, mais une cinquantaine d'années plus tard, la part de ce secteur dans l'économie de la Région a considérablement diminué.
Comme beaucoup de grandes villes européennes, Bruxelles a dû faire face à une désindustrialisation progressive dès la fin des années 1960. Les changements économiques mondiaux, les délocalisations et l’évolution technologique ont conduit à une diminution des espaces industriels. D’après perspective.brussels, de 1997 à 2021, la superficie dédiée aux locaux industriels à Bruxelles a diminué de 24%, passant de 5.722.500 m² à 4.330.000 m². Cette réduction est en grande partie due à la reconversion de ces espaces en logements et équipements publics.
Vers une réindustrialisation de Bruxelles
Cependant, malgré cette réduction, Bruxelles maintient une présence industrielle notable. Des entreprises comme Vivaqua illustrent cette dynamique. En 2020, l’entreprise belge de production et distribution d'eau potable et d'assainissement des eaux usées a inauguré à Anderlecht, une usine dédiée à la fabrication de coques en polyester renforcé de sable et de fibres de verre. Celles-ci sont utilisées pour rénover les égouts bruxellois, prolongeant leur durée de vie de 70 ans sans nécessiter de travaux de remplacement intensifs.
Avant la construction de cette usine, l'entreprise dépendait de fournisseurs étrangers, ce qui entraînait des coûts élevés et des délais de livraison incertains. La production locale a ainsi permis de réduire les émissions de CO₂ liées au transport de 60 % et offre un potentiel de réduction supplémentaire de 90 % en s'approvisionnant en matières premières auprès d'acteurs belges. Laurence Bovy, directrice générale de Vivaqua explique : « Nous avons mis fin à une espèce d'hérésie écologique parce que ces coques que nous achetions à l'étranger pesaient plusieurs tonnes. Pour les faire venir, elles passaient par un bateau, et puis par un camion jusqu’au centre de Bruxelles. En termes écologiques, cela représentait beaucoup de tonnes de CO₂. Alors que maintenant, nous les produisons proximité des chantiers. »
L’emploi, doucement mais surement
La relocalisation de la production des coques d’égouts par Vivaqua n’a pas seulement permis de réduire l’empreinte écologique, elle a également eu un impact direct sur l’emploi local. « Nous avons voulu recréer de l’emploi industriel à Bruxelles, et surtout recréer du savoir-faire, car il n’y a pas d’école qui forme les ouvrier·ères à produire des coques en Belgique. L’industrie urbaine permet de créer des emplois ouvriers, ce qui est rare dans une capitale », observe Laurence Bovy. L’usine d’Anderlecht a ainsi généré 25 emplois directs. Un chiffre modeste, mais hautement symbolique dans une ville où l’industrie s’est effacée au fil des décennies.
D’après Citydev.brussels, l’organisme public en charge du développement urbain de la Région de Bruxelles-Capitale, l’emploi industriel a diminué de 60 % depuis 1995, atteignant 17.000 postes en 2023, soit seulement 2,3 % de l’emploi régional. Néanmoins, quelques secteurs montrent une résilience notable. L’agroalimentaire et la réparation de machines, par exemple, font preuve de stabilité. Selon Actiris, malgré la désindustrialisation progressive, certains domaines industriels continuent de jouer un rôle important dans l'économie locale. Par exemple, l'Horeca est le deuxième employeur d'ouvrier·ères à Bruxelles, représentant environ 16 % de l'emploi ouvrier.
Comment (re)trouver sa place en ville ?
Aujourd’hui, même si l’industrie urbaine se développe plus qu’auparavant, il reste des obstacles importants à surmonter pour dynamiser véritablement ce secteur à Bruxelles. La CEO de Vivaqua souligne que l’obtention des permis est un processus long et complexe, impliquant de nombreux acteurs de la Région. Dans le cas de la construction d’une usine de production de coques, cela a entraîné des surcoûts, notamment pour l’ajout d’une double peau à l’usine et l’installation d’une toiture verte, imposés par les autorités pour minimiser l’impact visuel et environnemental du projet.
Par exemple, l’usine a dû installer des filtres pour réduire les odeurs liées à l’utilisation de styrène, un produit chimique utilisé dans la fabrication des coques. Bien que ces mesures aient été nécessaires pour apaiser les inquiétudes des voisins, elles ont prolongé le processus et augmenté les coûts, rendant le développement industriel en milieu urbain particulièrement complexe.
Enfin, « Le terrain industriel disponible est rare à Bruxelles », constate Laurence Bovy. La densité croissante de la ville et la nécessité de concilier différentes fonctions urbaines, telles que l’habitat, la mobilité et l’industrie, rendent le développement industriel dans la capitale difficile, mais nécessaire pour assurer la diversité économique de la ville.
Il y a bien sûr la fermeture d'Audi Brussels. Le site de l'usine, avec ses 54 hectares à Forest, laisse un vide dans l’économie locale. Pourtant, cet espace pourrait être réutilisé pour des projets industriels durables, offrant à Bruxelles l'opportunité de reconquérir une partie de son passé industriel.
Vivaqua : l’industrie urbaine au cœur d'Anderlecht
Beci s’est rendu chez Vivaqua pour découvrir son usine à Anderlecht. Construite en 2020, elle fabrique des coques pour prolonger de 70 ans la durée de vie des égouts bruxellois, sans avoir à les remplacer. Une première en Belgique.
Depuis 2015, Vivaqua cherchait une solution pour moderniser le réseau d’égouts de la capitale. Plutôt que de démolir et remplacer les canalisations, l’entreprise a choisi de produire en interne ces coques, réduisant ainsi les coûts et l'empreinte carbone. Chaque coque, pesant entre 250 et 300 kilos, est fabriquée avec du sable, des fibres de verre et de la résine, puis soumise à un contrôle qualité rigoureux.
Avec une trentaine de collaborateurs, l’usine produit jusqu’à neuf coques par jour, contribuant à la réhabilitation des 223 kilomètres d’égouts restants à moderniser. À ce jour, plus de 200 kilomètres ont déjà été restaurés. « Nous avons pris la décision de fabriquer nous-mêmes ces matériaux qui coûtent cher », explique Olivier Broers, directeur des études, de la logistique et du laboratoire. Les ouvriers et ouvrières ont été formé·es sur site : « Il a fallu tout apprendre, mettre en place une nouvelle expertise en un an et demi », rappelle le directeur du laboratoire.
Pour Beci, cette visite illustre l’importance de soutenir les entreprises qui innovent dans la gestion des services publics. C’est d’ailleurs au détour d’une rencontre organisé par Beci que Vivaqua a pu renforcer sa collaboration avec ses partenaires. Une preuve, s’il en fallait, que le dialogue entre acteurs économiques et institutionnels ouvre la voie à des solutions durables pour Bruxelles.
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