Bruxelles, future capitale de la regtech ?

3 mars 2025 par
Philippe Beco

Proximité avec les institutions, écosystème naissant, premières success stories. Bruxelles dispose d’atouts pour se positionner en hub regtech.

Quand un trauma donne naissance à un secteur… C’est sur les cendres de la crise financière de 2008 que sont nées les regtechs. Les autorités financières partout dans le monde renforcent alors les règles applicables aux banques afin d’éviter que celles-ci ne dérapent à nouveau.  Fondations comptables, contrôle des processus, gestion des risques et des actifs, … L’impact est profond et rend les processus bancaires de plus en plus complexes.

C’est pour y répondre qu’apparaissent alors de nouvelles startups exploitant les progrès de l’intelligence artificielle.  De jeunes pousses tech développent des solutions permettant aux banques de vérifier digitalement l’identité de leurs clients (solutions KYC ou « know your client ») et confirmer leur authenticité. Ou encore d’évaluer le niveau de risque de fraude ou de blanchiment d’argent qu’ils peuvent représenter (solutions AML ou « anti money laundering »). D’autres permettent encore d’intégrer les nouvelles exigences en matière de gestion et protection des données.

Les atouts « regtech » de Bruxelles

D’après le site fintech.global, le secteur regtech est aujourd’hui valorisé à près de 16 milliard USD de capitalisation. L’Europe a ses champions, dont l’irlandaise Fenergo aux 139 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Et Bruxelles compte, elle aussi, ses success stories.

La plus connue du grand public, c’est sans doute l’application d’identification Itsme, aux 7 millions d’utilisateurs. Il y a aussi b.fine. Fondée en 2017, cette spécialiste du reporting réglementaire s’est vue acquise en 2022 par une autre très grande du secteur, l’allemande Regnology. Spécialisée dans la gestion des risques tiers, Vadis Technologies a, quant à elle été vendue au géant américain Moody’s cet été. Elle a notamment équipé les services de la Commission en matière de détection de fraude et corruption, et développé un outil facilitant l’identification des directeur·rices et « bénéficiaires effectifs » de sociétés établies partout dans le monde.

Ces entreprises ne sont pas nées à Bruxelles par hasard. La proximité avec les institutions européennes, source d’échanges permanents avec les autorités régulatrices, est un fameux atout. Il s’ajoute à une qualité et un coût de la vie modéré qui permet d’attirer des talents de partout dans le monde. Finance.brussels, Agoria et Hub Brussels ont d’ailleurs épinglé les regtechs comme un de leurs thèmes prioritaires de soutien.

« Avec des acteurs comme Bancontact, Swift ou Euroclear, il y a aussi un vrai historique fintech à Bruxelles », explique Jean François Heering, ex CEO de Vadis et aujourd’hui consultant pour Moody’s. « On a raté quelques trains dans le KYC et l’AML. Avec son puissant écosystème bancaire, Londres a pris le dessus. Mais le régulateur européen est ici et le potentiel restant est très important », souligne-t-il.

Vague ESG

De fait, au fil des ans, la regtech a étendu ses services à d’autres réglementations complexes à l’application desquelles les d’entreprises sont confrontées.  Car il n’y a pas que les lois bancaires et financières qui se multiplient. « CSRD, CSDDD, taxonomie… Un tsunami de nouvelles règles ESG est en train d’arriver. Les investisseurs, les banques et les régulateurs, notamment, ont besoin de données pour évaluer les sociétés sous cet angle », confirme Jean-François Heering.

Ainsi, s’ajoutant aux spécialistes en structuration des données comme data.be, beaucoup se sont lancés dans le développement de solutions qui permettent de collecter, analyser et communiquer des données sur les performances ESG. On en compte plusieurs à Bruxelles, dont D-Carbonize, Tapio, Wequity et bien sûr Greenomy, dont les ambitions internationales sont soutenues par Euroclear, qui en est devenue actionnaire.  

Jean-François Heering, qui est aussi administrateur et responsable regtech au sein de la fédération sectorielle Fintech Belgium, insiste par ailleurs sur un indispensable soutien public et l’implication de fonds de capital-risque pour compléter l’écosystème. Il se réjouit de voir que Syndicate One, ce réseau de fondateurs et investisseurs techs belges, a récemment monté avec succès un premier fonds de 6,5 millions d’euros. « Un bon pas, mais il reste une dynamique à créer », insiste-il.

Simplification administrative

La Commission Européenne a récemment exprimé son souci de simplification réglementaire afin d’aider les entreprises à appliquer les nouvelles exigences sans trop alourdir leur fonctionnement. Un risque pour le secteur ? Pas forcément. « Plutôt que de se concentrer sur le « quoi », cette nouvelle Commission va se concentrer sur le « comment » aider les sociétés à traduire les règles en modes opératoires. Mais la charge de l’intégration des normes va demeurer sur les épaules de ces dernières. C’est de leur côté que se trouveront les opportunités de marché », prédit Jean-François Heering.

Effet IA

L’intelligence artificielle n’est en rien une nouveauté pour un secteur dont les outils de gestion du risque s’appuient sur des calculs complexes et de puissants algorithmes. Pour autant, les progrès de l’IA générative et des grands modèles de langages (GML), qui permettent de produire et traiter des contenus « à la façon » d’un humain, devraient lui donner un nouveau coup de boost.  Par exemple dans le remplissage de formulaires et l’automatisation de reporting ESG – c’est d’ailleurs ce créneau qu’exploitent Greenomy  et Wequity  – ou encore la captation et l’analyse de textes ou paroles permettant d’identifier des comportements frauduleux.

L’IA est aussi important objet de régulation en tant que telle. C’est à Bruxelles qu’est né l’IA act, un premier règlement destiné à assurer que les systèmes d’IA soient sûrs, respectent les droits fondamentaux des citoyen·nes et les valeurs de l’UE. Face à cet enjeu, des organisations bruxelloises se positionnent. Notamment Belfius, qui a pris une participation dans Mistral, le ChatGPT européen. Ou encore FARI, l’initiative de l’ULB et de la VUB qui entend mettre le bien commun au cœur de l’IA.  Pour Jean-François Heering, qui pointe aussi l’ouverture au dialogue dont fait preuve la Commission Européenne, tous les éléments sont là pour un stimulant échange. La capitale européenne pourrait ainsi devenir une plateforme à la pointe des questions de régulations IA. De quoi promouvoir ainsi une 3eme vague de regtechs « Made in Brussels ».


Philippe Beco 3 mars 2025
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