Mode : la solution circulaire

29 avril 2024 par
Philippe Beco

Le secteur de la mode doit impérativement se réinventer pour devenir durable. Le circulaire est une solution. Mais le recyclage implique une nouvelle répartition de la valeur, des évolutions technologiques et des méthodes innovantes. La scale-up bruxelloise Resortecs est aux avant-postes…

Depuis plusieurs mois, les voix qui dénoncent les ravages sociaux et écologiques de la fast fashion se font de plus en plus entendre. Les arguments sont fondés.

Il y a deux ans déjà, le Ministère français de la Transition écologique cité par nos confrères du ‘Monde’ soulignait que l’industrie de la mode « émet désormais plus de gaz à effet de serre que les vols internationaux et le trafic maritime réunis », soit plus de 10 % des émissions mondiales.

Régulièrement épinglée pour ses pratiques environnementales et sociales, la production mondiale de vêtements a doublé sur les 15 dernières années. Dans le même temps, le nombre de fois que nous portons nos chemisiers, pantalons, jupes et autres vestes a, lui, diminué en moyenne de 36 %, d’après les chiffres cités par le Programme Environnemental des Nations Unies et la Circle Economy Foundation. La faute en grande partie à l’ultra fast-fashion, symbole de la fuite en avant d’un modèle tout sauf durable.

Vêtements jetables

Ils sont assimilés de plus en plus à des objets jetables à merci. Mais où finissent nos vêtements quand ils ne sont pas directement relégués à la poubelle ? Il y a bien sûr les sites de seconde main – tels Vinted – ou les friperies de centre-ville, qui offrent d’intéressants débouchés aux dressings surchargés des victimes de la mode.

Pour le reste, Refashion, un éco-organisme de la filière textile, estime qu’environ un tiers des textiles dont se débarrassent les consommateurs sont déposés dans des points de collecte ou récupérés par des associations. Ils sont ensuite triés dans des centres spécialisés. Les plus abîmés finissent incinérés ou recyclés en chiffons ou en isolants. Les plus valorisables, eux, seront revendus dans des magasins solidaires.

Décharges saturées

Mais même en augmentation, la demande de seconde main reste trop faible face à l’augmentation exponentielle de vêtements collectés. Tout le reste est donc exporté, notamment en Afrique, pour être revendu à des intermédiaires locaux et débuter une nouvelle vie. Ainsi, d’après l’Organisation mondiale du Commerce, 5,3 millions de tonnes de textiles et de chaussures usagés sont exportés dans le monde chaque année, principalement au départ de l’Union européenne (UE), des États-Unis, mais aussi de la Chine et du Pakistan.

Conséquence, plusieurs pays sont aujourd’hui véritablement submergés par l’afflux massif de textiles usagés à la qualité médiocre et absolument invendables, même au plus bas prix. Rien qu’au Ghana, des containers acheminent chaque semaine 15 millions de pièces, censés alimenter un secteur regroupant pas moins de 30 000 tailleurs et commerçants. Mais, selon les estimations de The Or Foundation, une ONG spécialisée, 40 % de ces articles sont inexploitables. Il faut s’imaginer des pulls aux mailles trouées ou distendues ou des T-shirt informes et complètement délavés…

Ainsi, plutôt que d’être portés à nouveau ailleurs, des tonnes de textiles échouent sur les côtes africaines et dans des décharges saturées, où elles finiront parfois en flammes – incinérées accidentellement là-bas, plutôt qu’industriellement ici…

Désassembler pour recycler

Face à un système qui atteint ses limites et au-delà des indispensables questionnements sur l’hyper consumérisme vestimentaire, les solutions de recyclage industriel à l’échelle européenne ou mondiale manquent.

C’est qu’afin de pouvoir être recyclés, 78 % des vêtements doivent d’abord être désassemblés afin de séparer les différentes matières et tissus qu’ils contiennent – élastiques, doublures... – ainsi que les fermetures éclairs, les étiquettes, les boutons ou autres accessoires.

Un énorme challenge auquel, depuis plusieurs années, Resortecs s’est attaqué. Fondée en 2017, elle a mis au point un fil de couture exclusif dont la grande qualité est de ‘fondre’ à une certaine température. Une fois extraits d’un système de démontage industriel, lui aussi spécifiquement développé par la start-up bruxelloise afin de préserver la qualité des tissus, les différents composants peuvent aisément être séparés puis recyclés.

Collections et productions industrielles

Son procédé ‘design for desassembly’ aujourd’hui parfaitement au point, Resortecs a convaincu plusieurs grandes marques, dont Decathlon et Bershka, avec lesquelles elle a étroitement collaboré pour mettre au point des collections d’articles aisément démontables. « Nous enchaînons les ‘success stories’ et cela suscite l’intérêt de plus en plus de marques », se réjouit Rawaa Ammar, Chief sustainability and impact officer.

Aujourd’hui, le fil de Resortecs est déjà utilisé dans des produits commercialisés dans plus de 60 pays. Le prochain stade de développement est déjà entamé, avec le récent lancement de productions de collections industrielles à grande échelle, et l’ambition de devenir une référence incontournable dans le secteur d’ici 2030.

Ecosystème

Pour y arriver, il ne lui suffira pas de convaincre les grandes marques d’adopter sa solution dans la confection de leurs produits. Resortecs œuvre aussi à la constitution d’un écosystème de collecte et de recyclage qui permettra, en aval, de circulariser le flux de matière issue des vêtements désassemblés. Un effort qui impliquera, à travers l’Europe et le monde, la création ou le renforcement de différents organismes de promotion, de coordination et de financement de la filière de collecte, soit les ‘Fost Plus’ des vêtements.

Les marques ont tout intérêt à s’engager dans cette voie et suivre de près les solutions d’éco-conception comme celle offerte par Resortecs. Le cadre réglementaire les y oblige de plus en plus. « Aujourd’hui, plus de 16 règlements encadrent l’industrie textile et ses pratiques environnementales », se réjouit Rawaa Ammar.

Parmi eux, l’important ESPR (Eco-design for Sustainable Product Regulation), un règlement sur lequel le Conseil et le Parlement européens ont trouvé un accord provisoire en décembre dernier. Celui-ci stipule notamment que la destruction d’invendus devrait être interdite dès 2025.

Recyclé et à haute valeur

À terme, la réglementation européenne imposera aussi aux acteurs un pourcentage minimum de matière recyclée dans leurs productions. Aujourd’hui, certaines s’y essayent déjà en intégrant du polyester issu, par exemple, de bouteilles en plastique. Mais à mesure que les producteurs de boissons, de cosmétiques ou autres produits emballés se verront eux aussi soumis à des obligations de circularité, leur appétit pour ces matières recyclées augmentera également. L’industrie du vêtement ne pourra plus compter que sur les ressources générées par sa propre filière pour assurer dans ses productions une teneur suffisante en matière réutilisée. 

De quoi donc redonner singulièrement de la valeur à un textile en fin de vie. « L’enjeu pour les fabricants, c’est aujourd’hui de reprendre le contrôle de la chaine de valeur. Certains testent d’ailleurs aujourd’hui le déploiement de leur propre dispositif de collecte », explique encore Rawaa Ammar.

-50 %... de CO2

Cet intérêt des marques pour le ‘textile-to-textile recycling’ augmentera d’autant plus qu’elles s’engagent dans une diminution de leur empreinte carbone. Pour ce faire, elles doivent aujourd’hui non seulement se pencher sur les émissions générées par leurs activités, mais aussi celles liées à l’ensemble du cycle de vie de leurs produits et à leur chaine de valeur, en ce compris leurs matières premières. « Cela représente 60 à 70 % de leur empreinte. Or nos études montrent qu’un vêtement fabriqué avec du matériel recyclé grâce à notre technologie permet d’en diminuer l’empreinte de 50 %. Un jeans recyclé, aussi c’est 3 500 litres d’eau économisés », souligne la dirigeante.

Autre enjeu majeur, l’implication des associations de collecte et la préservation de leur modèle économique. La question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’en 2025, à la façon du papier dans les sacs jaunes ou des P.E.T dans les sacs bleus, tout textile européen jeté devra obligatoirement être collecté séparément. Les organismes de collecte et de tri risquent donc, de la même façon que les marchés africains, d’être submergés de vêtements qu’ils ne seront pas en mesure d’écouler. « La seule alternative est alors l’incinération et le coût financier et environnemental qui va avec. Notre technologie, au contraire, leur permettra de valoriser ces stocks via le recyclage », plaide Rawaa Ammar.

On l’aura compris, un gros travail d’organisation de la filière vêtements reste à accomplir afin de la rendre réellement circulaire. Des acteurs comme Resortecs s’y emploient. Écologique, social, économique, de développement : l’enjeu est de taille et, à l’image des chaines de valeur textiles, mondial.

En chiffres

6,3 milliards €

Le marché de la mode circulaire représente 6,3 milliards d’euros en 2023, avec une croissance annuelle estimée de 12 % jusqu’en 2030 (étude FMC x Accenture).


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Philippe Beco 29 avril 2024
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