Écosystème business : l'avenir de l'entrepreneuriat ?

26 janvier 2018 par
BECI Community

L’avènement des écosystèmes multiplie les fertilisations croisées entre petites et grandes sociétés. Les contacts intensifs ont pour corollaire d’induire une métamorphose de ces deux types d’entreprises. Un réseau business intégré est donc l’avenir des entreprises.

« L’avenir est à l’écosystème business », déclarait Marc Decorte dans sa première interview en tant que président de Beci, voici deux mois dans nos colonnes. « Je suis persuadé que nous évoluerons de plus en plus dans un tel écosystème, où les entreprises de toutes tailles ont un rôle à jouer. On le voit très bien dans le domaine de l’innovation, où elles ont de plus en plus besoin de collaborer. »

Il y a 15 ans, Édouard Cambier, pionnier de l’écosystème belge, assistait à la mutation profonde du monde de l’entreprise à Bruxelles. De grandes organisations abandonnaient le centre-ville. À cette époque déjà, l’économie partagée avait bouleversé le monde musical. Il restait à savoir si les autres secteurs allaient suivre. Édouard Cambier y perçut un signal. Il acheta le business center Seed Factory à Bruxelles, pour le transformer en écosystème. « Ce bâtiment était occupé par quatre entreprises du secteur de la communication, je l’ai reconverti en un groupe média d’une trentaine de firmes. Je n’ai veillé qu’à une chose, dans cette initiative : la complémentarité. »

Seed Factory organisait mensuellement des meet-ups – des mini-conférences auxquelles étaient aussi conviées de grandes entreprises telles qu’Accord Group et Sodexo. « C’est au terme d’une de ces réunions que Sodexo manifesta son intérêt pour un concept », se rappelle M. Cambier. « C’est devenu Bien-Être à la Carte. Nous avons créé, pour ce projet, un site web où les entreprises accédaient à une série de services axés sur le bien-être sur le lieu de travail. Il était difficile, dans les années 2000, de trouver des cadres féminins dynamiques âgés de 25 à 35 ans et pouvant faire état d’une formation approfondie. La société Unilever, par exemple, cherchait très activement de tels ‘young potentials’. Or, les candidats jetaient plutôt leur dévolu sur des employeurs tels que Microsoft, IBM ou Yahoo. Les services proposés sur le site web devaient donc contribuer au confort de vie des collaborateurs d’Unilever. Caddy Home assurait notamment le service ‘emplettes’. »

 

Bureau gratuit

Il y a quatre ans, M. Cambier fit la connaissance, chez Seed Factory, de quatre gaillards de 22 ans. Ils avaient une bonne idée, mais rien dans le porte-monnaie. « Je leur ai proposé d’être leur corporate partner pendant un an, avec Seed Factory. J’ai mis gratuitement à leur disposition un bureau, une secrétaire, le wifi et des espaces de parking. » Le quatuor a développé Sortlist, très utile pour les entreprises qui n’ont guère de notions de marketing. Sortlist s’appuie sur un algorithme et met ces entreprises en relation avec un bureau de marketing qui leur propose du temps, des compétences et un tarif justifié. De quoi développer une solution sur mesure à leur problème. La formule a fait mouche. « Dans l’intervalle, ces garçons ont généré quelques millions d’euros et ils disposent à présent de bureaux à New York, Paris et Madrid », annonce Edouard Cambier, non sans fierté.

Notre pionnier de l’écosystème planta en 2013 la semence de ce qui deviendrait Co.Station. La numérisation s’apprêtait alors à bouleverser le monde financier. Des banques telles que BNP Paribas Fortis et ING craignaient de se voir confrontées à de nouveaux concurrents : des entreprises fintech capables de combiner de manière novatrice technologie et services financiers, mais aussi des géants de l’internet tels que Facebook et Google. BNP Paribas Fortis considère aujourd’hui Co.Station comme une plate-forme qui prépare la banque à l’avenir. « Dans le temps, la banque développait tout par elle-même, alors qu’aujourd’hui, il existe davantage de volonté d’engager des partenariats avec des acteurs externes plus petits », constate Michaël Anseeuw, responsable du retail banking chez BNP Paribas Fortis Belgique. « L’ouverture a augmenté de part et d’autre. Il y a peu, les entreprises fintech passaient pour le grand Satan qui allait dévorer toutes les banques. Aujourd’hui, nous constatons que nous pourrons tirer profit de l’élargissement d’échelle, du fichier clients et de la confiance que les banques ont dans l’offre. Le changement de mentalité est évident. »

 

Prendre le pouls

Au sein de Co.Station, la banque accueille toutes les start-up et scale-up, même si elles travaillent dans d’autres secteurs. Comme le dit M. Anseeuw : « Cela nous donne l’opportunité de suivre l’écosystème. Dès qu’une entreprise s’inscrit pour faire appel à Co.Station, nos collaborateurs sur place – ceux qui travaillent dans les Innovation Hubs – sont prêts à aider. Si nos collaborateurs détectent des opportunités d’affaires, nous examinons les possibilités de collaboration éventuelle. »

Cet engagement de BNP Paribas Fortis était-il animé par d’autres motivations que la survie ? « Une banque a pour vocation de soutenir l’économie. Il n’a jamais autant été question de start-up et de scale-up qu’aujourd’hui. Une banque qui veut garder sa raison d’être doit soutenir cette nouvelle économie. Et puis, la tendance est à l’ouverture. En prenant le pouls de cette économie, nous découvrons des entreprises intéressantes. J’y vois une évolution logique de notre mission. »

Dans le même esprit, le groupe KBC a développé un réseau business de structures d’accueil et d’accompagnement des start-ups, Start it @KBC. Son pôle bruxellois vient d’ailleurs d’emménager dans un nouvel espace de 800 m², dans le quartier de Tour & Taxis.

Des exemples d’innovations qui auraient échappé à BNP si la banque s’était repliée sur elle-même ? Hello Crowd et Gambit Financial Solutions, notamment. « Hello Crowd est une plate-forme de crowdfunding que nous avons lancée il y a deux ans, au sein de Hello Bank », explique Michaël Anseeuw. « À ce moment-là, proposer un financement alternatif aux clients dans l’environnement bancaire traditionnel impliquait un projet qui aurait pris des mois, voire des années. Nous avons décidé de collaborer avec une plate-forme française de crowdfunding. La technologie API (application program interface) a permis une intégration relativement rapide à la plate-forme de la banque. Bref, il faut vraiment saisir l’opportunité de collaborer avec une entreprise spécialisée, à la pointe de la technologie. C’est ainsi qu’avec le rachat de Gambit Financial Solutions, nous bénéficions des services d’un spécialiste robo-advisory (conseil financier fonctionnant avec très peu d’intervention humaine), bien plus avancé dans ce domaine qu’un généraliste qui voudrait intégrer pareil service à un portefeuille déjà bien rempli. »

Michaël Anseeuw (BNP Paribas Fortis Belgique)

« En prenant le pouls de cette économie, nous découvrons des entreprises intéressantes. J’y vois une évolution logique de notre mission. »

 

Un réseau business avantageux pour tous

Outre ses investissements directs dans de petites entreprises, BNP Paribas Fortis suit les flux d’innovation en participant à des fonds tels qu’Imec.Istart Fund, proche des milieux universitaires, et Fortino Capital, le nouveau fonds de l’ancien patron de Telenet Duco Sickinghe, qui s’adresse spécifiquement aux scale-up. « Ces acteurs sont essentiels sur notre marché », confie M. Anseeuw. « Nous les soutenons dans leur passage au niveau suivant. Ces entreprises ont souvent des ambitions internationales, d’où découlent des besoins plus complexes auxquels la banque peut apporter des solutions appropriées. Si elles visent la France ou l’Italie par exemple, nous pouvons les aider via notre réseau international. »

Même réflexion du côté de KBC : « Bruxelles est une base d’opérations très attractive pour les start-up venues des cinq continents. Notre communauté de start-up compte actuellement plus de 40 nationalités », explique Lode Uytterschaut, fondateur de Start it @KBC. « Depuis peu, nous faisons également partie du GAN (Global Accelerator Network), un club qui rassemble les meilleurs accélérateurs du monde entier. Nous pouvons ainsi offrir quelques avantages supplémentaires à nos start-up et leur permettre notamment d’explorer gratuitement de nouveaux marchés internationaux. »

Édouard Cambier estime que l’innovation ouverte, propre aux écosystèmes, incite les entreprises bien établies à évacuer progressivement leurs conceptions traditionnelles de la concurrence. « Le travail en écosystème est une évidence pour les digital natives. Mes deux fils en attestent : ils ne rêvent pas d’une maison et d’une BMW. Ils aspirent plutôt à prendre part à un écosystème tel que le Plug and Play Tech Center de la Silicon Valley ou Station F à Paris. Notre monde est devenu à ce point complexe, et la technologie évolue si vite, qu’on ne peut plus se replier sur soi-même. Sans réseau, on n’est rien. Bien sûr, dans le passé déjà, les entreprises se rencontraient au sein d’un business club, mais ces contacts étaient mensuels, alors qu’un écosystème fonctionne sans interruption. »

Édouard Cambier

« La structure pyramidale aura disparu d’ici cinq à dix ans, au profit d’une organisation ‘moléculaire’. »

 

Les échanges intenses influencent petites et grandes entreprises, dans les deux sens. « On pourrait dire que les ‘grosses boîtes’ ont l’argent et les structures, et les petites plutôt les idées et le dynamisme », estime M. Cambier. « Les start-up perçoivent parfois les entreprises bien établies comme des vaches à lait, alors qu’elles ont plus à offrir que des moyens financiers : la réflexion à long terme, l’industrialisation, les processus etc. En revanche, ces grandes entreprises recourent encore trop souvent à des techniques obsolètes et une approche top-down dépassée. Les start-up ont une structure plus horizontale et une communication beaucoup plus directe. Mon associé Tanguy Peers, ancien numéro deux d’eBay, habite à San Francisco. On y travaille différemment. La moyenne d’âge des CEO est de 42 ans. Ils sont plus jeunes et plus innovants. Les entreprises d’ici suivront l’exemple ; ce n’est qu’une question de temps. La structure pyramidale aura disparu d’ici cinq à dix ans, au profit d’une organisation ‘moléculaire’. »

 

Plutôt un speed boat qu’un superpétrolier

« En tant que PME, nous préférons rester petit pour éviter les pesanteurs. Nous voulons être un speed boat qui se déplace très vite vers où l’entreprise et les clients veulent aller, plutôt qu’un superpétrolier pataud, que de multiples procédures empêchent de réagir rapidement à l’inattendu », dit Suyin Aerts, qui dirige avec son partenaire Dan Vandevoorde l’entreprise X-treme Creations (fournisseur depuis près de 25 ans de supports de communication gonflables tels que les arches publicitaires lors de courses cyclistes ou des décors de scène pour le festival Tomorrowland). « Je vois, dans notre pays, de nombreuses start-up qui tombent dans le piège. Elles sont poussées à la croissance. On leur fait croire qu’elles doivent devenir toujours plus grandes. L’essentiel pour moi est de rester aligné sur sa propre passion de chef d’entreprise et sur celle des collaborateurs. Si à un moment, le personnel ne suit plus, vous avez un problème. Peu importe la taille de l’entreprise : tout tourne autour des personnes. Certains chefs d’entreprise décident sans concertation. Ils ne doivent donc pas s’étonner du refus et de la rébellion des collaborateurs, dont l’avis n’a pas été entendu. »

Suyin Aerts s’implique depuis des années dans le projet Plato du Voka, d’abord en tant que participante, aujourd’hui aussi comme marraine. Des représentants de grandes et petites entreprises s’y retrouvent régulièrement en divers groupes pour réfléchir. À cette occasion, ils se créent un réseau business élargi. D’après Mme Aerts, Plato est en quelque sorte un écosystème. « C’est une combinaison idéale de réseautage et de formation. Les participants apprennent à se connaître mutuellement. Et cela vaut aussi pour leurs activités. Il en résulte parfois des symbioses, mais surtout beaucoup d’apprentissage par la confrontation aux récits des autres. Chacun est contraint de ralentir et de prendre le temps de la réflexion stratégique : ‘Que fais-je ? Où en suis-je ?’ »

Faciliter la création d’écosystèmes ; créer l’environnement où la startup pourra travailler en symbiose avec la grande entreprise; construire des ponts pour créer un réseau business, c’est aussi le rôle d’une organisation telle que Beci, par la mise en relation et l’accompagnement.

 

Suyin Aerts (X-treme Creations)

« Je vois de nombreuses start-up qui tombent dans le piège. On leur fait croire qu’elles doivent devenir toujours plus grandes. L’essentiel pour moi est de rester aligné sur sa propre passion. »

 

 

 

L’ère des écosystèmes

Une étude de Finpower démontre que les écosystèmes s’appuient sur les New Ways Of Working et connaissent une progression spectaculaire dans notre pays depuis 2010. Le nombre de business et coworking centers a passé le cap des 300 en 2016, soit une croissance de 25 %. La part de ces ‘service office centers’ sur le marché total des surfaces de bureaux est passée de 1,6 à 2 %, cette année. La Belgique est en retard par rapport à la Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Dans ces pays, cette part de marché se situe entre 3 et 5 %. À Londres, 25 % des immeubles de bureaux neufs abritent des écosystèmes. À New York, on atteint même 33 %.

Le chiffre d’affaires des business et coworking centers a franchi le cap des 100 millions d’euros en 2016. La rentabilité laisse toutefois encore à désirer en raison des frais de démarrage élevés des nouveaux écosystèmes. En revanche, les centres qui ont surmonté les maladies de jeunesse affichent une rentabilité de 3 à 5 %. Les écosystèmes se révèlent rentables à partir de 2.000 m².

BECI Community 26 janvier 2018
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