Le travail nuit-il à la santé ?

15 mars 2022 par
BECI Community

[article invité]

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme un état de complet bien-être physique, mental et social. Cette santé ne se limite donc pas à l’absence de maladie ou d’infirmité. La situation sanitaire actuelle de ‘post-Covid’, après deux années focalisées sur la santé, appelle cette question: le travail contribue-t-il à la santé ? Ou lui nuit-il ? Abordons la problématique sous deux angles différents. Le premier est celui des travailleurs qui souffrent. Le second, celui des individus qui puisent une partie de leur santé dans le travail. 

Travailler comporte des risques. On les qualifie communément de psychosociaux. Ils portent atteinte tant à la santé mentale qu’à la santé physique des individus. Ces risques se situent dans les conditions, le contenu et l’organisation du travail, ainsi que dans les conditions de vie professionnelles et les relations interpersonnelles. Leurs conséquences sont le stress, l’abus d’alcool et de drogue, le burn-out, sans oublier d’autres pathologies comme le bore-out ou le brown-out. 

Trois fois ‘out’

Le burn-out est la pathologie de la surcharge de travail. L’individu a dû faire face à des exigences professionnelles élevées sans disposer de moyens suffisants pour les atteindre. Et ce, durant une longue période. Le burn-out résulte du stress chronique, dans lequel l’individu finit par épuiser ses ressources physiques et psychiques, laissant place à un vide intérieur qui le contraint à l’arrêt de travail.

Le bore-out est une pathologie de l’ennui, conséquente à l’absence d’activités ou de tâches professionnelles. Le travailleur est d’abord à la recherche active de projets ou tâches à accomplir. Ensuite, l’absence effective de travail finit par éroder sa motivation, engendrer une certaine apathie et créer un mal-être profond.

Le brown-out est une pathologie liée à la perte de sens du travail. L’individu trouve ses tâches vaines. Ou alors, il ne se retrouve plus dans les valeurs et/ou missions de l’entreprise. La charge de travail est présente, mais la personne s’interroge sur l’utilité de cette activité. À quoi ou à qui sert-elle ? 

Psychique et physique

Les caractéristiques communes à ces trois pathologies du travail sont le stress, l’épuisement et le désengagement. Le stress se manifeste par un ensemble de symptômes psychiques (par exemple la rumination mentale, les émotions négatives, etc.), mais également physiques : troubles du sommeil, troubles de la digestion, céphalées, troubles musculo-squelettiques, etc. La personne s’épuise à mesure du temps. Le stress sape toutes ses ressources et son énergie au passage. Elle désinvestit son travail, n’y trouvant plus de plaisir et ne s’y réalisant plus. 

Cette première approche nous permet d’affirmer sans conteste que le travail nuit à la santé. Mais, prenons à présent la seconde, celle selon laquelle le travail contribue à la santé. J’entrevois trois conditions minimales pour affirmer que « le travail, c’est la santé ». 

Sécurité, bien-être et sens

La première condition, celle de base, est la sécurité du travailleur. Cette sécurité implique que l’individu puisse faire son travail avec des protections et un équipement adaptés aux risques encourus. Ainsi, un élagueur pourra s’armer de lunettes de protection, de gants, de chaussures adaptées, d’un casque de sécurité, d’un harnais, etc. pour éviter les chutes et les blessures. Outre l’équipement, la notion de sécurité au travail implique également une sécurité financière : savoir que l’on gagne suffisamment bien sa vie pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Pour cette raison, tout travail précaire, l’accumulation de contrats à durée déterminée et l’insécurité de l’emploi peuvent porter atteinte à la santé de l’individu. 

Outre la sécurité, un travail ‘sain’ répond à une seconde condition : celle du bien-être. Pour mon confrère Jacques Lecompte, le bien-être est lié aux émotions positives que l’individu ressent, aux relations conviviales qu’il entretient avec autrui, aux loisirs ou aux choses qu’il aime faire et à sa satisfaction de vie générale. Un travail qui réunit certains ou tous ces éléments est associé au bien-être de l’individu. Ne sous-estimons pas, dès lors, les relations qu’on entretient dans le cadre du travail, avec nos collègues ou nos bénéficiaires. L’humain a besoin d’être en interaction avec autrui, d’échanger et de partager ses réflexions et ses émotions, même au détour d’une simple conversation.  

La troisième condition de santé au travail est le sens. Pour qu’un travail soit bénéfique à l’individu, il doit lui donner du sens. Un travail est sensé lorsque la personne perçoit la valeur et l’intérêt de sa fonction, mais aussi lorsqu’il donne une direction et répond à des objectifs de vie. En tant que perception, le sens du travail est subjectif. Ce qui a du sens pour un individu, n’en a pas nécessairement pour un.e collègue qui exerce le même métier ou qui travaille dans la même entreprise. Outre cette subjectivité, la littérature scientifique met en évidence des caractéristiques objectives du sens du travail. Par exemple, l’utilité des tâches et la reconnaissance des autres. 

Fluctuation normale

Revenons à la question du départ : le travail nuit-il à la santé ? Une réponse binaire ne correspondrait pas à la réalité. La relation entre la santé de l’individu et son travail se situe sur un continuum entre deux extrêmes : la maladie professionnelle et la santé. L’individu fluctue entre ces deux pôles. Par moments, il frôle la maladie parce qu’il est épuisé, stressé et se questionne sur le sens de son implication professionnelle. Il vit cependant d’autres périodes durant lesquelles il est motivé, engagé, investi et épanoui. La normalité en psychologie est liée à une certaine fluctuation, avec des hauts et des bas. L’essentiel consiste à ne pas demeurer de manière chronique dans le stress et le mal-être. Le travailleur et son employeur doivent y travailler ensemble. La santé au travail est une coresponsabilité. 

 

À propos de l’auteure

Stéphanie Delroisse, PhD, chargée de cours à L’UMONS et à l’UCLouvain et fondatrice de Sens Stress

Stéphanie Delroisse

 

 

BECI Community 15 mars 2022
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