Validation de l’idée, business plan, plan financier, testing, pérennisation… Entreprendre n’est pas qu’une affaire de confiance et d’énergie. Et le succès ne se façonne jamais seul·e.
Contre vents et marées, la Belgique demeure une inaltérable terre de starters… D’après Statbel, plus de 120.000 nouveaux numéros de TVA ont été enregistrés en 2024, un chiffre comparable aux trois années précédentes. Aujourd’hui, dans notre pays, le taux de création de nouvelles entreprises est de 45% supérieur à celui observé il y a dix ans.
Pour autant, un grand nombre de porteur·euses de projets échouent à pérenniser l’aventure. Graydon Creditsafe a ainsi recensé un nombre de faillites record sur les cinq premiers mois de l’année – près de 5.000 au total. De fait, si lancer une entreprise requiert avant tout une bonne dose de confiance, de créativité et d’énergie, le succès dans la durée passe aussi par une approche rigoureuse et quelques indispensables notions de gestion. Pour y voir plus clair, nous avons posé quelques questions à David Sobrie, qui dirige le pôle création d’entreprise au sein de Partena Professional, et à Audrey Thiry, responsable du Dream Lab. Ce programme a été conçu par le guichet d’entreprise à destination des entrepreneur·es débutant·es, de l’affinement de l’idée jusqu’au lancement concret et l’élaboration d’un plan financier. Il accompagne 250 personnes par an et inclut notamment des ateliers interactifs où l’on apprend à structurer son projet. Mais aussi un coaching individuel permettant d’analyser sa stratégie d’entreprise en profondeur, du pricing à l’analyse de la concurrence ou la campagne de communication. Il offre aussi la possibilité de tester très concrètement certains projets. En moyenne, la moitié des participant·es font « le pas » d’entreprendre au terme de celui-ci.
La dimension du bien-être fait partie de notre business model canvas. Seul un entrepreneur qui va bien peut grandir et évoluer.
- Audrey Thiry
Doit-on se libérer de toutes autres activités pour lancer son entreprise ?
Non ! David Sobrie note d’ailleurs que le profil des participant·es est de plus en plus diversifié, et l’entrepreneuriat s’impose progressivement dans les esprits comme un complément ou une alternative à la vie de salarié·e. On ne devient donc plus starter uniquement par nécessité ou par goût du risque, mais aussi pour trouver une « bouée d’oxygène » au quotidien. « Beaucoup sont en reconversion professionnelle ou en indépendant complémentaire et souhaitent valoriser un savoir-faire dont ils disposent déjà et qu’ils ont exercé durant leur temps de loisirs », observe l’expert. Audrey Thiry, active dans l’accompagnement à la création depuis plus de sept ans, abonde : « On voit de plus en plus d’étudiants ou de jeunes diplômés qui optent directement pour l’entrepreneuriat. Et dans la tranche – très importante – des 40-50 ans, c’est de plus en plus la recherche de sens et les questions de durabilité qui les guident, quitte à perdre une partie de ses revenus», note-t-elle.
Comment s’assurer de la pertinence d’une idée ?
Un nouveau business est toujours un pari et il n’existe aucune idée magique…. « Pour développer un bon projet, il faut être amoureux de son problème plutôt que de sa solution », résume toutefois Audrey Thiry. Ainsi, soumettre son idée à un maximum de client·es potentiel·les est un point de départ indispensable afin de s’assurer qu’une proposition de valeur est pertinente. « Lors de nos premiers ateliers, chacune pitche son projet. Nous demandons alors aux autres participants d’expliquer s’ils seraient prêts à l’acheter et si non, pour quelles raisons » explique David Sobrie, qui insiste sur le fait de consulter au-delà de sa famille et de ses ami·es, dont le regard peut trop facilement être biaisé.
Comment passer de l’idée au projet ?
Même si une idée correspond bien à un besoin de marché, le projet qui s’en suit doit aussi assurer à son ou sa porteur·euse de pouvoir en vivre. En se penchant sur les données dont on dispose, on doit pouvoir établir un budget qui soit le plus rigoureux possible et déterminer ainsi son seuil de rentabilité. Il s’agit, pour commencer, d’identifier le coût de revient. Pour lancer un food truck dans un village, par exemple, on estimera l’investissement de départ, les coûts d’exploitation et d’approvisionnement, sans oublier son propre salaire. « Le but, c’est de décortiquer tout au maximum pour déterminer le plus précisément possible le nombre de pizzas qu’il faut vendre par jour pour être rentable », explique David Sobrie. On comparera ensuite ce nombre à son marché potentiel : combien de familles compte votre village et combien seront prêtes à se déplacer pour goûter votre cuisine, sachant que personne ne mange de pizzas tous les soirs ! « Si le projet s’avère non viable sur base de ces premières analyses, on identifie alors d’autres pistes : peut-on déplacer le food truck dans les villages alentours ? Ou participer à des événements ? Ainsi, très souvent, on fait évoluer un projet de départ », poursuit David Sobrie.
Comment tester son projet ?
Au bout de l’exercice qui précède, un·e entrepreneur·e en herbe disposera ainsi d’un premier business plan. Même établi sérieusement, celui-ci reste fragile tant qu’il n’a pas été éprouvé… Pour lui donner plus de garanties de succès, l’étape suivante consiste à soumettre le projet à un regard très expérimenté. David Sobrie appelle cela le « dream-test » ou le « crash-test ». Un·e expert·e du secteur va challenger le projet après qu’il lui soit présenté. On s’attache là à regarder les détails mais aussi si la vision correspond bien aux réalités et à l’évolution probable du secteur. David Sobrie rappelle encore qu’une entreprise ne débute vraiment que lorsque l’on décroche son premier client. « Élaborer une première recette, un premier bijou ou un premier prototype et le tester très vite auprès de son marché potentiel est crucial. Grâce aux essais et erreurs, on peut ensuite le faire évoluer dans le sens de la demande sans perdre de temps ». Régulièrement, le Dreams Lab offre ainsi à ses participant·es la possibilité de tester leurs propositions dans des Pop-Up stores spécifiquement prévus à cet effet.
À quoi sert le plan financier ?
Partie intégrante du business plan, le plan financier informe sur la faisabilité financière du projet, identifie les besoins en financement et projette l’évolution de la rentabilité. Il explicite les besoins et les sources de financement, le compte de résultat prévisionnel – recettes, dépenses et bénéfices – ainsi qu’un tableau reprenant les flux de trésorerie entrants et sortants. C’est un outil indispensable afin, notamment, de convaincre investisseur·euses et banques. Mais aussi de réfléchir à ses propres aspirations financières. « Une question essentielle est de savoir de combien l’on doit disposer par mois pour vivre. Il faut trouver un juste milieu. Ne pas se payer pendant un an ou réduire drastiquement son train de vie peut aussi fragiliser mentalement », souligne Audrey Thiry. Depuis quelques années, l’établissement d’un plan financier par un·e comptable est un préalable obligatoire à la constitution d’une société. L’idée du législateur était, ainsi, d’éviter la sous-capitalisation et assurer la viabilité de l’entreprise sur deux années au moins. Dans la pratique toutefois, déplore David Sobrie, les chiffres et informations fournis sont souvent trop lacunaires pour établir un reflet fidèle et réaliste des perspectives financières d’un projet. « Le plan financier devrait être une promesse qu’on se fait à soi-même et un outil de monitoring et d’alerte si on en dévie trop. Mais il cela fonctionne si on a fait sérieusement l’exercice du business plan. Sinon, il est réduit à une simple formalité administrative », insiste-t-il.
La réussite entrepreneuriale n’est-elle qu’une question de business model ?
Evidemment non. Entreprendre, c’est aussi tester sa personnalité, son tempérament et ses résistances mentales. Il faut donc être capable de poser un regard lucide sur ses forces et faiblesses personnelles et les travailler, ou conclure parfois qu’on n’est tout simplement pas fait pour l’entrepreneuriat … « La personnalité ou la vision créative d’un individu est un élément de différenciation qui contribue au succès. Au-delà, la dimension du bien-être fait partie intégrante de notre business model canvas. Seul un entrepreneur qui va bien peut grandir et évoluer » illustre Audrey Thiry. « Beaucoup débutent « tout feu tout flamme ». C’est très bien, mais ils doivent aussi conscientiser que chaque parcours passera par des échecs, des remises en question, et des rebonds ».
L'intelligence artificielle peut-elle devenir un·e partenaire stratégique ?
David Sobrie admet que travailler son business plan avec l’IA peut s’avérer utile. « C’est un outil supplémentaire dans la palette », souffle-t-il. Mais il rappelle qu’être starter à succès résulte avant tout d’un savoir-faire et d’un « savoir-être ». « Pour vendre, il faut savoir être à l’aise en face de la clientèle. Développer son business requiert d’être créatif et original pour anticiper et rebondir ». Audrey Thiry ajoute encore : « Nous décelons très vite les pitchs de projets préparés exclusivement par IA. Ils sont bons mais on n’y sent pas « les tripes » du porteur de projet. Or convaincre des financiers, comme des clients, passe aussi par une histoire personnelle, faite d’authenticité…».
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