L’écosystème de sauvetage des entreprises bruxelloises en détresse est aujourd’hui bien en place. Mais il lui faut des moyens pour fonctionner…
Parfois, il y a des problèmes que l’on peut prédire sans pouvoir les empêcher. Ainsi en va-t-il des insolvabilités d’entreprises en Belgique, dont les chiffres sont en sensible hausse ces dernières semaines, confirmant les craintes exprimées de longue date par les observateur·ices.
Plus encore que dans les autres régions, les indices sont particulièrement édifiants à Bruxelles. Il y a d’abord les faillites. En augmentation constante depuis le mois de septembre passé, elles ont culminé à 84 par semaine au début février, un taux très élevé qui ne s’est pas démenti depuis.
Cristallisation des difficultés et murs financiers
Au-delà de ces faillites, d’autres cessations d’activités plus discrètes se multiplient. En particulier les dissolutions judiciaires demandées par les créanciers institutionnels, dont l’ONSS et les autorités fiscales. Si l’on cumule ces deux chiffres, on arrive ainsi à un nombre record de 3.500 cessations d’activités à Bruxelles en 2024.
Ces chiffres alarmants résultent, en fait, d’un effet retard comme l’explique Paul Dhaeyer, président du tribunal de l'entreprise de Bruxelles. Au Covid et à la crise de l’énergie ont succédé l’inflation, l’indexation des salaires et l’augmentation des taux d’intérêts. Les premiers mois, les entreprises ont pu faire face, grâce à des financements contractés plus tôt. Mais aujourd’hui, ces dettes arrivent à maturité. Or les sociétés les plus fragiles ont entretemps épuisé leurs réserves. Face à des banques devenues plus prudentes et qui resserrent les conditions de crédit, elles n’ont plus la capacité d’assumer leurs remboursements immédiats, de sécuriser un nouveau financement ou même un refinancement de leurs dettes.
A bout de souffle, ces entreprises se retrouvent alors face un mur financier insurmontable. « Les derniers mois de 2024 et les premiers mois de 2025 s’avèrent être une période de cristallisation des difficultés qui se sont empilées ces dernières années », éclaire ainsi Paul Dhaeyer, qui quittera bientôt ses fonctions pour présider le tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
A Bruxelles pire qu’ailleurs
Sévères, les chiffres de Bruxelles sont aussi liés à son tissu économique. Plus qu’ailleurs, on y trouve un grand nombre de commerces et de business dans la restauration, l’entreprise générale, l’immobilier ou le transport… autant de secteurs particulièrement touchés. « Ils sont très exposés à l’indexation salariale. Les supérettes et commerces alimentaires doivent aussi respecter la chaine du froid et ont souffert du coût de l’énergie. Le télétravail, les problèmes de mobilité et de sécurité ont clairement contribué », observe Paul Dhaeyer. Au final, le taux bruxellois d’augmentation du nombre de faillites est ainsi deux fois plus important que celui du pays dans son ensemble.
Ce qui inquiète le magistrat, c’est aussi que des sociétés bruxelloises de plus grande taille sont impactées. Au-delà du très médiatique exemple de Lunch Garden, on peut pointer Sicli. Placée sous administration provisoire à la fin 2024, l’entreprise d’extincteurs uccloise a finalement été sauvée au prix du licenciement de deux-tiers de son personnel. Et puis il y a les graves difficultés du groupe immobilier de Gérald Hibert, détenteur d’un impressionnant portefeuille de surfaces commerciales premium dans la capitale. Révélée par nos confrères de L’Echo, sa fragilité financière fait craindre pour le secteur immobilier commercial tout entier…
Médiation, obligations comptables et compétences
Face à ce constat dressé en commission des affaires économiques du parlement bruxellois il y a quelques semaines, Paul Dhaeyer et Pierre-Yves de Harven, juge au sein du tribunal de l’entreprise, ont formulé plusieurs propositions. Il s’agit d’abord de refinancer le dispositif de médiation de dettes d’entreprises en difficultés. « Il a contribué à sauver une centaine d’entreprises », insiste le premier. Autre proposition, la possibilité de recourir à un soutien comptable pro-deo, les professionnel·les du chiffre jouant un rôle clé dans l’accompagnement et le sauvetage d’entreprises en difficulté.
Le duo suggère par ailleurs la réinstauration d’un programme de formation comptable. Là encore, Paul Dhaeyer a son point de vue. « On peut être un excellent entrepreneur mais un piètre gestionnaire. Prouver ses connaissances en gestion n’est plus obligatoire en Flandre et à Bruxelles mais bien en Wallonie, et je pense que cette dernière a raison. Il faut être honnête. Un notaire n’a pas la compétence requise pour juger de la qualité du plan financier imposé au fondateur d’une srl. On ne doit pas forcément revenir à une obligation mais une offre de formation devrait au moins être disponible ».
Le duo suggère encore la convocation des nouvelles sociétés après 3 ans afin de tirer un bilan de leur situation, ou encore un abaissement du seuil à partir duquel le bilan d’une PME devrait être approuvé par un·e commissaire aux comptes. Il a testé l’idée auprès de la FEB qui, à ses dires, n’y est pas fondamentalement opposée. « Face aux crises, il est vraiment important que les comptes déposés correspondent bien à la réalité économique et financière de l’entreprise. Cela ne coûterait pas cher mais permettrait de mieux anticiper des problèmes éventuels et, in fine, de gagner du temps et de l’argent», insiste-t-il.
Autant de pistes dont il restera au politique de saisir… une fois que Bruxelles aura son gouvernement.
Sauver des entreprises… et des vies
Au-delà de l’urgence économique, il y a aussi l’enjeu humain. Car derrière des entreprises qui s’effondrent, il y a autant d’entrepreneur·es en détresse. « Nos juges consulaires sont devenus de véritables sentinelles qui les reçoivent avec humanité pour les guider. Le tribunal joue ainsi le rôle d’une tour de contrôle mais aussi de point d’ancrage où on peut venir chercher de l’aide », explique encore Paul Dhaeyer, qui loue par ailleurs à ce sujet l’action de Beci, de la Pulse Foundation, et du dispositif de soutien psychologique un pass dans l'impasse. « Ce sont parfois des personnes qui sont véritablement au bord du suicide que nous épaulons. Nous ne faisons pas que sauver des entreprises, mais aussi des vies », témoigne ainsi le magistrat devant la commission économique bruxelloise.
CEd Relance de Beci : solutionner mais aussi anticiper
« Planter sa boîte ne doit plus être perçu comme un échec mais la résultante, à un « moment T », de circonstances particulièrement difficiles. Pourtant, la faillite et les difficultés financières sont encore vécues comme un tabou - que nous voulons briser », explique Lisa Isnard, secrétaire générale de Beci face à cette même commission. Fondé il y a plus de 20 ans, le CEd Relance de Beci est ainsi à l’écoute de tout·e entrepreneur·e.
Le centre ne s’adresse pas qu’à l’entreprise en grande difficulté. Depuis deux ans, ses ateliers proposent des solutions juridiques, légales, financières et de gestion destinées aussi à anticiper au mieux des situations délicates, telles qu’une nécessaire transformation digitale, une crainte de stagnation économique dommageable ou une transmission.
Sur demande, l’anonymat peut être assuré. Il suffit de contacter le CEd au 02.533.40.90 ou ced@beci.be. En fonction de ses questions et préférence, chacun·e sera orienté·e vers un atelier hebdomadaire, collectif ou individuel, où des expert·es se mettent à l’écoute avant de guider et surtout, apporter des solutions très concrètes à chaque situation. Par ailleurs, il faut savoir qu’en cas de difficultés avérées et profondes, la faillite n’est pas la seule issue possible.
Prévention, relance ou réorganisation judiciaire
A côté de ces ateliers, le CEd Relance a mis en place un cycle de formations «Prévention/Relance» afin de soutenir les entrepreneur·es, renforcer leurs compétences et faciliter leur relance à travers des exemples concrets et des conseils directement applicables. Ce cycle inclut également des groupes de soutien qui fournissent un espace de paroles et d’écoute bienveillante aux personnes en détresse. Plus d’infos sont disponibles ici.
En 2024, le CEd a traité plus de 900 dossiers. Il gère également un dispositif d’aide mis sur pied par la Région bruxelloise en 2021, et qui permet de couvrir 75% des frais liés à la préparation d’une Procédure en Réorganisation Judiciaire (PRJ). La procédure offre un sursis à l’entreprise. Elle suppose la saisie du Tribunal de l’Entreprise, qui décrète une période pendant laquelle une société ne peut être déclarée en faillite et peut mettre en place un plan qui sera proposé à ses créanciers. Les dettes du passé sont automatiquement gelées. La PRJ passe par un diagnostic financier préalable sur base d’un bilan de moins de 3 mois et d’un bilan précédent clôturé. Souvent, elle permet à des entreprises de « s’en sortir par le haut ». Le taux de sauvetage est en effet de 30%.