Faut-il avoir peur des travailleurs multipotentiels ?

2 mars 2023 par
BECI Community

Longtemps considérés comme de vilains petits canards, les travailleurs multipotentiels sont de plus en plus perçus comme des atouts pour les entreprises. Mais qui sont-ils ? Quelles sont les forces et les faiblesses de ces profils atypiques ? Pour quels types de métiers sont-ils faits ? Entretien avec Joëlle Iland, anthropologue, formatrice et coache professionnelle.

La multipotentialité est un terme éducatif et psychologique qui réfère à la capacité et à la préférence — au besoin même — d’une personne d’exceller dans plusieurs domaines. Utilisé pour la première fois en 1972 par le psychologue Ronald Frederickson, le concept n’est pas neuf, mais reste
relativement méconnu. « Il n’existe actuellement aucun test permettant de détecter ou de mesurer la multipotentialité, comme les tests de QI pour les hauts potentiels par exemple. Les chefs d’entreprises et responsables RH ont donc du mal
à mettre un nom sur cette spécificité », explique Joëlle Iland. Les multipotentiels, eux-mêmes, ne savent pas toujours qu’ils le sont.

C’est surtout le parcours — parfois chaotique — de la personne qui permettra de détecter sa multipotentialité. « Un certain mal-être au travail peut aussi permettre de mettre des mots sur cette caractéristique. La personne n’arrive pas à trouver sa voie ou souffre du syndrome de l’imposteur. À force de se sentir si régulièrement insatisfaite, une personne multipotentielle peut commencer à douter d’elle-même, se demander pourquoi elle est si ‘instable’. »

 

Forces, faiblesses et préjugés

Le multipotentiel aime cumuler plusieurs casquettes. « Pourquoi choisir lorsqu’on peut tout faire ? » est en quelque sorte son crédo. Et d’après Joëlle Iland, pour réussir à tout faire, le multipotentiel dispose de nombreux atouts : il a un mode de pensée arborescent et une grande capacité à faire des liens, à trouver des idées et des solutions.

Il pourrait presque faire un brainstorming tout seul et sait gérer les situations complexes. Le multipotentiel est très intuitif et créatif. Il a une grande soif d’apprentissage et se donne toujours à fond. Même dans ses loisirs, il ne fait jamais les choses à moitié. Cela en fait, malheureusement, un bon candidat au burnout. Car bien entendu, chaque médaille a son revers…

« Alors que la majeure partie des gens recherchent la stabilité, le multipotentiel, lui, est stimulé par le changement »

Le multipotentiel s’ennuie vite et semble parfois brouillon, instable. Très perfectionniste et exigeant envers lui-même, il peut avoir du mal à se lancer. Parfois un peu autocentré, le multipotentiel peut aussi rencontrer des difficultés à travailler en équipe. Il est aussi victime de préjugés : « Tu es instable », « Pourquoi te lancer encore dans un nouveau projet ? », « Tu changes en permanence de centre d’intérêt », « Tu te lasses vite des choses, on ne peut pas compter sur toi »… Voilà

autant de critiques qu’il entend souvent. « Ces préjugés ne sont pas totalement faux », commente notre experte. « Les multipotentiels détestent la routine, par exemple. Une fonction mono-tâche ne pourra pas les satisfaire très longtemps. Pour qu’ils soient heureux et efficaces dans leur
fonction, il faut leur donner la possibilité d’exprimer leur potentiel. »

 

Un profil de plus en plus recherché

Toutefois, les travailleurs multipotentiels ont toute leur place en entreprise et sont même parfois spécifiquement recherchés. Et Joëlle Iland de commenter : « Ils ont une grande capacité d’adaptation, peuvent passer rapidement d’un sujet à l’autre, sont très doués pour faire des liens entre les choses. Ils ont l’esprit critique et sont en général plutôt créatifs, tant pour trouver de nouvelles idées que des solutions. Ils aiment coopérer, réseauter, communiquer. Ils sont souvent qualifiés de ‘couteaux suisses’ et c’est exactement ce dont les entreprises ont besoin dans le contexte actuel. »

Alors que la majeure partie des gens recherchent la stabilité, le multipotentiel n’est pas du tout réticent au changement. Comme il redoute l’ennui plus que tout, les changements, loin de lui faire peur, le stimulent. Autant d’atouts bien utiles dans le monde volatil et changeant d’aujourd’hui.

 

Quels métiers ou statuts pour les multipotentiels ?

Pour trouver leur place, certains multipotentiels choisissent la voie de l’entrepreneuriat. Être indépendant leur permet de travailler selon leurs envies et de combiner des missions ou activités différentes. Certains sont indépendants à titre principal, d’autres en complémentaire

En entreprise, tous les postes ne sont pas adaptés aux salariés multipotentiels et à leur envie récurrente d’apprendre et de développer de nouveaux projets. « Il faut privilégier des fonctions qui leur permettent d’explorer de nombreux sujets. »

Le multipotentiel aime cumuler plusieurs casquettes. Pourquoi choisir lorsqu’on peut tout faire ?

Des postes de coordinateur, de chef de projet ou de business developer peuvent tout à fait correspondre à ces employés atypiques. Le rôle de manager peut aussi très bien leur convenir. « Leur curiosité, leur empathie, leur sens de la justice, leur capacité à trouver des solutions… sont des qualités qui font d’eux de bons managers », assure notre experte.

Manager un multipotentiel

En termes de management, les travailleurs multipotentiels ont besoin de beaucoup d’autonomie. « Comme ils doutent facilement d’eux-mêmes, ils supportent mal les jeux de pouvoir. Ils préfèrent une hiérarchie transversale qui accorde une grande place à la communication et à la transparence. Ils ont besoin que leur manager valorise leurs compétences et leur propose régulièrement des formations. »

La rétention des travailleurs multipotentiels constitue un autre grand défi pour les entreprises. « Montrer à une personne multipotentielle qu’elle a des perspectives d’évolution en interne est plus important que jamais pour éviter la fuite des talents. Bien souvent, les missions externes, sur d’autres sites ou dans d’autres pays les intéresseront également. » Proposer à un salarié multipotentiel de combiner plusieurs casquettes est aussi une piste à suivre. « Le salarié a un contrat de travail à temps plein, mais il travaille pour plusieurs départements », illustre Joëlle.

 

Chance ou pénitence ?

Au final, être multipotentiel, est-ce une chance ou un fardeau ? « La réponse est double. Pour une personne qui n’arrive pas à vivre avec cette particularité, souffre du syndrome de l’imposteur et ne se sent jamais légitime dans son métier, c’est un vrai fardeau. Par contre, si l’on arrive à valoriser son profil et ses particularités auprès de l’entourage, des collaborateurs ou du patron, alors cette multipotentialité est une opportunité », conclut Joëlle Iland.

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BECI Community 2 mars 2023
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