Haemers Technologies : sous nos pieds, la révolution tranquille

5 juin 2025 par
Era Balaj

Et si la transition écologique commençait par ce qu’on ne voit pas ? Depuis Bruxelles jusqu’aux quatre coins du monde, l’équipe d’Haemers Technologies dépollue les sols sans les retourner, sans tout casser, et sans faire de bruit. Rencontre avec son fondateur, l’ingénieur bruxellois. 

Jan Haemers n’est pas un militant, ni un idéaliste : « Un ingénieur est quelqu’un qui veut changer le monde et qui voit ce qui est imparfait et ce qui peut être changé. Et nous, nous sommes une bande d’ingénieurs qui voit le monde et son état environnemental et qui se demande ce qu'elle peut y faire. » C’est ainsi qu’il décrit son équipe d’Haemers Technologies, une entreprise bruxelloise spécialisée dans la dépollution thermique des sols. « J’étais dans l’environnement bien avant que ce soit à la mode », glisse-t-il. C’est à Bruxelles, sa ville natale, qu’il a choisi d’ancrer son entreprise.

Une technologie circulaire, née à Bruxelles

Face à un sol pollué, la méthode classique consiste encore à excaver, transporter la terre ailleurs et la remplacer. Une logique linéaire, énergivore et destructrice. Chez Haemers Technologies, l’approche, elle, est circulaire. « Le sol est une éponge. Il absorbe les polluants, et en relâche avec la pluie, ce qui contamine les nappes. Notre technologie consiste à chauffer ce sol sur place, à évaporer les polluants, à les capter, puis à les brûler pour chauffer le sol à nouveau », explique le fondateur de l’entreprise.

Ce principe, baptisé « smart burn », repose sur un cercle vertueux. « On récupère par exemple du mazout de chauffage, on le brûle dans nos propres installations, et on utilise cette énergie pour continuer à chauffer le sol. » Le résultat : une dépollution efficace, sans excavation, sans démolition, avec un sol qui reste vivant. Jan Haemers illustre : « Prenez une éponge pleine d’eau et de savon, par exemple. Si vous ne faites rien, vous allez pouvoir mettre autant d’eau que vous voulez, il y aura toujours du savon dedans. Mais si vous la mettez dans un four à 110 degrés, elle sera complètement propre. À ce moment-là, vous aurez tout évaporé. C'est à peu près ce que nous faisons avec notre technologie brevetée. »

Pas de grandes infrastructures donc, pas de camions, pas de saccage. Juste une technique qui fait le boulot, précise, maîtrisée, développée depuis Bruxelles et appliquée sur des chantiers partout dans le monde. « Nous avons inventé notre technologie pour pouvoir la transmettre ailleurs aussi. Aujourd’hui, ce qui me rend fier, c’est de voir chaque jour, dans le monde entier, combien de mètres cubes de terre sont traités », confie-t-il.

Le sol, l’angle mort de l’écologie ?

Dans la plupart du temps, la pollution des sols n’est pas photogénique, pas de panaches de fumée, pas d’images spectaculaires. Pour cet entrepreneur engagé, le sujet reste largement méconnu du grand public, lorsque la question de la transition écologique est abordée. « Pourtant, la pollution des sols, c’est comme le climat : ce sont des passifs hérités. On hérite d’un site contaminé par des activités d’il y a 30 ou 50 ans. Ce n’est pas nous qui avons pollué, mais c’est chez nous et il faut agir. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas les coupables directs qu’il ne faut faire semblant de ne pas voir le problème », nuance-t-il.

Certains passifs sont, d’ailleurs, plus lourds que d’autres. Comme au Vietnam, où l’héritage de l’agent orange, un puissant herbicide utilisé par l’armée américaine pendant la guerre, continue de contaminer les sols et de menacer la santé des populations, des décennies plus tard. « La Belgique a été le premier pays à reconnaitre les victimes civiles. Nous venons de finir une visite d’Etat au Vietnam, où le roi et la reine se sont vraiment consacré·es à ce problème. » Haemers Technologies y intervient : « Nous y sommes accueillis différemment parce qu’on apporte de vraies solutions dans la vie de gens qui sont affectés. C’est notre responsabilité de nettoyer leurs sols », souligne Jan Haemers.

Le « Smart Burn » est breveté par Haemers Technologies.   © Haemers Technologies

Les bénéfices de la dépollution sont réels : environnementaux, bien sûr, mais aussi économiques, car un sol contaminé bloque des projets, menace la santé publique, empêche de construire, et surtout, il coûte cher à ignorer. « Pour une entreprise qui veut vendre un bâtiment, la présence d’un ancien réservoir qui fuit peut tout bloquer, car personne ne veut acheter un truc pollué. 


Grâce à nos solutions, en deux ou trois mois, le problème est résolu, sans devoir démolir le bâtiment ou creuser. C’est un vrai changement.»

L’exemple du site d’Audi à Forest est parlant : une immense zone avec un potentiel de reconversion, mais où les pollutions anciennes rendent les choses plus complexes. Haemers Technologies se dit prête à intervenir, « sans compromettre la structure du site ni freiner son redéveloppement .»

L’environnement et l’économie sur le même sol

D’après le CEO, et contrairement aux idées reçues, ce sont les milieux économiques, et non les ONG qui ont été les premiers à réclamer une législation sur les sols pollués. « Dans les années 90, j’ai participé à la rédaction du décret flamand, le premier au monde en la matière. Ce n’était pas une exigence environnementale, mais une demande du patronat. Il fallait de la clarté pour attirer les investisseurs·euses. »

Une législation claire crée un cadre rassurant pour les projets immobiliers et industriels. « Le monde économique et le monde financier ont besoin de savoir à quoi s’en tenir. Sans règles précises, ils ne s’engagent pas. Aujourd’hui encore, la Flandre reste en avance. À Bruxelles, on a pris un peu de retard, mais on progresse. »

Jan Haemers appelle aussi à un changement de regard : « Pourquoi trouve-t-on normal que des entreprises se développent grâce à la défense, mais pas grâce à l’environnement ? Le secteur environnemental, lui aussi, mérite de croître. Et nom de Dieu, il faut le dire haut et fort ! »

En bref, alors que la transition écologique se joue souvent sous nos yeux, Haemers Technologies rappelle qu’elle se joue aussi, et surtout, sous nos pieds.


PFAS : fin de l’éternité toxique ?

Haemers Technologies vient d’annoncer une première mondiale : non seulement l'entreprise bruxelloise sait extraire les PFAS du sol (ce qu’elle faisait déjà), mais surtout, elle sait désormais les détruire. « Jusqu’ici, on les captait pour les stocker ailleurs, ce qui ne réglait rien. Désormais, on les casse, on les élimine, définitivement », résume Jan Haemers.

La prouesse ? Chauffer les sols contaminés à très haute température pour casser la molécule, au lieu de simplement la déplacer. L’essai, réalisé au Danemark avec les autorités régionales, vient d’être validé. Et pour la première fois, une technologie de dépollution thermique permet d’en finir vraiment avec ces composés pernicieux, qui résistent à tout... sauf à Haemers Technologies.

Les PFAS – surnommés « polluants éternels » – sont partout. Produits chimiques ultrarésistants, ils s’accumulent dans les sols, l’eau, les organismes vivants, et résistent au temps comme aux traitements. Présents dans des milliers d’objets du quotidien, ils empoisonnent discrètement l’environnement depuis des décennies. Mais peut-être plus pour longtemps.

Era Balaj 5 juin 2025
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