Transition énergétique et crowdlending font bon ménage

22 mai 2025 par
Philippe Beco

Les plateformes de financement participatif ont fait de la rénovation du bâti un axe majeur de leur développement.

Avec un parc immobilier vieillissant et une pénurie de nouveaux projets résidentiels, on le sait, Bruxelles est confrontée, dans les années à venir, à un défi colossal de rénovation de son bâti. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Pour diviser la consommation moyenne par 3 dans les logements et atteindre la neutralité énergétique dans le tertiaire d’ici 2050 – un objectif fixé par l’Europe - la région Bruxelloise se doit de rénover pas moins de 250.000 habitations d’ici 2033. Ce chiffre devrait tripler pour atteindre 745.000 en 2043.

La fin des passoires

Dans la ligne de mire, les passoires énergétiques affichant un niveau PEB « F » ou « G » seront interdites dès 2033. Une mesure dont l’impact sur la valorisation des biens est tangible. Ainsi, notaient il y a quelques mois notre consœur de l’Echo, un appartement avec un PEB A à Bruxelles se vendait au prix de 4.589 euros/m² en moyenne contre 3.015 euros/m² pour un PEB G. D’après le réseau d’agences immobilières ERA, les logements énergivores auraient par ailleurs perdu 1,2% de leur valeur en 2024. Pour qui ne souhaite pas voir la valeur d’un bien s’effondrer, le passage par la case « rénovation » n’est donc plus une option.

Les plateformes en acteurs clé

Ce marché de la rénovation du bâti, la plupart des acteurs belges du crowdlending en ont fait depuis plusieurs années le segment clé de leur développement. Le crowdlending, ce sont ces plateformes de financement participatif agréées qui permettent à des investisseurs individuels, ou même des sociétés disposant de trésorerie à investir, de financer des projets d’entreprises. Si leur succès a été grandissant depuis leur apparition, il y a une dizaine d’année, l’année 2024 a, pour la première fois, marqué un recul du secteur. « Mais nos performances sont aussi corrélées à l’activité du secteur immobilier, qui a souffert. Trop hauts, les taux hypothécaires ont limité l’accès des ménages à l’achat. Cela a laissé les acteurs avec des stocks de biens sur les bras et empêché de nouveaux projets » explique Frédéric Levy Morelle, le CEO de Look&Fin.

Sensibles aux taux

« Avec l’inflation des matières premières et la hausse des taux d’intérêts, les promoteurs ont subi de plein fouet un double risque lié à la construction et à la vente. Soudainement les banques ont abaissé leur plafond de financement de nouveaux projets à 80%. Elles ont aussi exigé, pour octroyer celui-ci, qu’au moins 30% des appartements soient pré-vendus sur plan » confirme Joël Duysan, CEO de Beebonds, un autre acteur établi du crowdlending belge.

Les marchands de biens comme partenaires

Look&Fin consacre aujourd’hui plus de 80% de ses dossiers à des opérations de rénovation. En 2024, elle en a compté une centaine, pour des montants moyens de 600.000 euros. La plateforme accompagne en particulier des marchands de biens. Ceux-ci acquièrent des immeubles existants qu’ils rénovent, et parfois redécoupent, avant de les mettre à la vente. Se substituant à la banque, la plateforme finance en deux tranches distinctes l’acquisition puis les travaux de rénovation. « Le second montant est immobilisée sur un compte bancaire et libéré au fur et à mesure de l’avancement des travaux », détaille Frédéric Levy Morelle.

Mais pourquoi cet intérêt particulier pour les marchands de biens ? « L’horizon temporel de leurs projets sont beaucoup plus courts que ceux de promoteurs. Il est en moyenne de deux ans », explique le CEO. De fait, sa plateforme n’accepte de financer que des projets qui ne nécessitent pas de permis (on sait à quel point les délais peuvent être longs à Bruxelles) ou, à tout le moins, que ceux-ci soient purgés de tout recours éventuel.

Des projets sévèrement sélectionnés

Le comité financier de la plateforme se base encore sur d’autres critères avant d’accepter de financer un dossier. « Pour être éligible, le porteur de projet doit faire montre d’une vraie expertise, par exemple en ayant mené avec succès au moins trois projets de taille et de nature similaire. L’actif, lui, doit répondre à un certain nombre de critères géographique, de qualité mais aussi de liquidité », détaille Frédéric Levy Morelle. Ainsi, si les immeubles trop « bas de gamme » sont ignorés, il en va de même pour ceux de luxe. Au-delà, la complexité technique d’un projet fera, elle aussi, l’objet d’une analyse rigoureuse.

Un nouveau certificat locatif

La plateforme Beebonds, elle, accompagne des dossiers immobiliers déjà financés en grande partie par un crédit bancaire. Le financement participatif représentera ici un maximum de 75% de l’ « effort propre » demandé par la banque.

Récemment, la plateforme a innové avec l’émission d’un nouveau produit, le certificat locatif. Il offre à la société propriétaire d’un bien, déjà construit et loué, une solution de refinancement pour la réalisation de travaux de rénovation énergétique contre une cession d’une partie des loyers. « Cela leur permet de pérenniser des locataires de plus en plus sensibles à la qualité énergétique du bien qu’ils louent, ou de patienter en attendant la réception d’éventuels subsides. Potentiellement, il permet aussi à une société immobilière d’éviter de se séparer d’un bien pour financer la rénovation d’un autre », explique Joël Duysan. En percevant une partie des loyers, les investisseur·es limitent de leur côté leur exposition aux risques, le bien étant déjà loué.

Les prêts mis ainsi en place s’étalent sur une période de 5 à 15 ans.  La partie proportionnelle du revenu locatif indexé est consacrée au remboursement des intérêts. Le capital, lui, sera remboursé à la fin de la période. Au début du projet, 6 mois d’intérêts sont séquestrés pendant 3 ans afin de sécuriser le prêt. Ici aussi, la qualité du bien et du locataire sont finement analysés par un comité financier et un reporting trimestriel de suivi des projets est exigé.

L’enjeu des bâtiments publics

Le certificat permet à la plateforme de s’adresser tant aux propriétaires privés, sociétés ou entités publiques, que ce soit pour des immeubles résidentiels ou professionnels. A l’entendre, Joël Duysan ne manque pas de candidat·es porteur·ses de projets. L’enjeu, c’est de convaincre un nombre grandissant d’investisseur·es de l’opportunité offerte par le certificat.  « D’après les estimations du cluster wallon Cap Construction, rien que la rénovation des bâtiment publics wallons nécessitera 50 milliards d’euros d’investissement d’ici 2040. Quand on sait que 300 milliards sont disponibles sur les comptes des particuliers et 1.700 milliards de placements de trésorerie des sociétés, une mise en relation par des plateformes prend tout son sens », souligne-t-il.

L’avenir immobilier de Bruxelles en question

Pour en revenir à Bruxelles, l’on demande à Frédéric Levy Morelle quel regard il pose aujourd’hui sur les perspectives immobilières de la capitale. Il observe pour commencer que les deux autres régions ont diminué de façon massive leurs droits d’enregistrements. S’il comprend les impératifs budgétaires de la région, il s’interroge sur le fait que ce déficit fiscal se double d’une grande inefficacité dans la délivrance des permis. Le CEO se dit surtout très inquiet de l’impact de la récente ordonnance visant à encadrer les loyers. « D’un côté, on a des mesures qui font fuir les primo-acquéreurs de Bruxelles, et tendent ainsi à en faire, à terme, une ville de locataires. Soit, mais dans un tel modèle, il faut pouvoir attirer des propriétaires qui investissent dans la brique. Or, la grille de référence des loyers adoptée par les autorités me semble détachée des réalités du marché. Dans ces conditions, ils iront plutôt investir dans le Brabant Wallon ou Flamand plutôt qu’à Bruxelles », craint-il.

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